« Je suis enthousiaste. On a enlevé les masques il y a quelques jours. On a l’impression qu’un renouveau s’opère à New York. Le timing est idéal », raconte Tatyana Frank dans son nouveau bureau au 8e étage du French Institute Alliance Française (FIAF). À 37 ans, la Franco-Belgo-Suissesse a pris, début mars, la direction de l’institution de la 60e rue. Elle remplace Marie-Monique Steckel, qui a décidé de partir vers de nouvelles aventures après dix-sept années de transformations importantes apportées à la programmation et au bâtiment du plus grand centre culturel et éducatif d’Amérique du Nord. Jamais le FIAF n’avait eu de dirigeant aussi jeune en presque 120 ans d’existence.
Avec ce poste, Tatyana Franck ouvre un chapitre américain dans une vie déjà bien remplie. Depuis 2015, elle dirigeait le musée de la photographie de Lausanne, Photo Elysée (anciennement Musée de l’Élysée), véritable référence dans le monde de l’image figée. Sa présidence a été marquée par l’enrichissement des collections du musée, l’ouverture à de nouveaux publics et la construction d’un nouveau bâtiment pour l’abriter au sein de Plateforme 10, le projet de quartier culturel de Lausanne.
Son départ pour New York avant l’inauguration du nouvel espace, en juin, a fait parler le landerneau culturel vaudois, mais Tatyana Franck assume son choix. « J’ai eu l’opportunité de mener ce projet de création de musée de A à Z. J’aurais pu rester deux-trois années de plus et récolter les lauriers de cette construction, mais je suis quelqu’un qui aime bâtir, entreprendre, conduire des projets. J’avais atteint les objectifs que je m’étais fixés en arrivant il y a sept ans, avec des résultats concrets, observe-t-elle. Dans la vie, soit on saisit les opportunités qui nous sont offertes, soit on laisse passer le train. J’ai préféré monter dans la locomotive plutôt que le dernier wagon. »
Dans le genre train, elle est plutôt TGV. Après avoir fait une école de cirque (l’Académie Fratellini) à Paris entre 8 et 12 ans, elle s’est lancée dans les compétitions de ski, s’entraînant à Val d’Isère sous la houlette de l’ex-champion olympique Patrice Bianchi. Elle a participé à plusieurs championnats de France, d’Europe et du monde en catégories « minime » et « benjamin » (12-15 ans) et reçu des mains du maire de Paris, Bertrand Delanoë, le prix de meilleur skieur d’Île-de-France en 1996. « Je ne voulais pas devenir pro, précise-t-elle. C’était particulier car je ne faisais pas Sports-Études. J’habitais à Paris et j’allais tous les week-ends m’entraîner à Val d’Isère et participer aux championnats. »
Une blessure aux ligaments l’éloigne de la compétition, mais n’entame pas son mental ni sa passion pour le ski, qu’elle continue de pratiquer. « Le sport m’a enseigné la discipline personnelle, la volonté d’aller plus loin et de me battre contre les éléments. Et puis, il y a l’esprit d’équipe, très important pour moi. J’ai un style de management très participatif. »
En 2007, avant d’être recrutée au Musée de l’Élysée à Lausanne, elle dirige les Archives Claude Picasso, fils de Pablo Picasso et de la peintre Françoise Gilot, gérant un fonds de plusieurs milliers de photographies. La photo est une affaire de famille. Son père, Eric, possède une galerie à Londres et sa tante n’est autre que la Martine Franck, photographe de Magnum Photos connue pour ses portraits. Elle fut l’amie de Robert Doisneau et l’épouse d’Henri Cartier-Bresson. Ce dernier « était un membre de ma famille comme un autre, mais c’est sûr que les conversations étaient très stimulantes. J’ai baigné de par mon enfance dans un environnement culturel, entourée d’artistes, de directeurs d’institutions, de personnalités qui m’ont modelée et inspirée. Très jeune, j’ai développé une culture du regard ».
New York et le FIAF ne sont pas des terres inconnues pour Tatyana Frank. Elle est venue dans le cadre de ses fonctions antérieures, notamment pour recevoir un Lucie Award, les Oscars de la photo, pour récompenser le Musée de l’Élysée au Carnegie Hall. Elle a aussi effectué un MBA de Columbia entre la Grosse Pomme, Hong Kong et Londres entre 2014 et 2016. « Je faisais le voyage une semaine par mois, indique-t-elle. Quand on est venu me chercher pour le FIAF, je me suis dit que c’était un beau défi. Pouvoir ainsi élargir mon champ d’action et gérer une institution dont la mission est à la fois la promotion de la culture au sens large et de l’éducation me tient particulièrement à cœur. »
La nouvelle patronne est peu bavarde sur les projets qu’elle aimerait lancer. Elle mentionne la création de festivals, le développement de la programmation de la galerie du FIAF et l’ouverture à la francophonie. Une grande partie de son travail sera consacrée à la levée de fonds, nerf de la guerre pour cet établissement américain de droit privé, dont les programmes culturels et éducatifs dépendent des recettes des événements et des cours de langue, des donations, de la location d’espaces et du gala annuel. L’an dernier, ce dernier a permis de récolter 1,6 million de dollars. Un record bienvenu pour le FIAF qui a dû, comme le reste des acteurs culturels, suspendre ses événements en présentiel pendant la crise sanitaire et trouver des sources alternatives de financement.
Dans l’immédiat, Tatyana Franck prend ses marques. « Je m’inscris dans la continuité, dit-elle. Je suis admirative du travail de Marie-Monique Steckel qui a réussi à faire du FIAF une institution internationalement reconnue et d’une qualité remarquable. J’aimerais poursuivre son travail et aller encore plus loin dans l’ambition qu’on a pour cette institution. »
Crédit photo ©Argenis Apolinario