Quand Sylvain Despretz, storyboarder à Hollywood, évoque sa carrière, un mot revient sans cesse : la chance. Une humilité qui ne rend pas justice à la pugnacité dont le Français a fait preuve pour arriver à travailler avec les plus grands réalisateurs, de Ridley Scott à David Lynch, en passant par Stanley Kubrick et Tim Burton. Des collaborations qu’il retrace dans son premier livre, “Los ángeles : story-boards & chants de sirènes sur celluloid” (éditions Caurette), sorti fin novembre.
Refusant de le cataloguer comme une collection de dessins, Sylvain Despretz définit son ouvrage de 400 pages comme “un code de la route du septième art”, “une initiation au cinéma”, qui donne accès au langage cinématographique généralement limité aux grands réalisateurs. “Un langage qui disparaît”, regrette le Français qui veut rendre ses lettres de noblesse à la mise en scène graphique. Chaque illustration est ponctuée d’anecdotes, d’observations et de réflexions sur les deux décennies écoulées.
L’ouvrage met en lumière un métier de l’ombre : “le storyboard est un accessoire au service du metteur en scène qui va représenter l’intention verbale et intellectuelle d’un film, sur le plan esthétique, plan par plan.” Il aime rappeler que ce métier est hérité de George Méliès qui “réalisait des croquis de ses effets spéciaux afin de communiquer l’effet voulu à ses équipes”.
Cherchant à s’éloigner des sirènes de la célébrité, l’artiste n’utilise pas que les story-boards des films à succès pour lesquels il a travaillé durant plus de 20 ans. Au contraire : “j’ai décidé d’éliminer les références aux films célèbres, pour que l’on porte la même attention à tous les dessins.” C’est d’ailleurs ce qui démarque ce livre d’autres ouvrages sur le sujet, tout comme le fait qu’il comporte des vestiges de films qui n’ont jamais vu le jour.
L’influence des bandes dessinées françaises
Ce grand admirateur d’Hergé (le père de Tintin), avec qui, enfant, il entretenait une relation épistolaire, a toujours eu un coup de crayon. Un talent qu’il a entretenu, fidèle aux conseils de son mentor, tout en restant un autodidacte. Sa passion pour le dessin s’est délitée au fil des années au détriment d’une autre, le cinéma. “Mais je n’avais pas les moyens financiers de tourner des films alors j’ai décidé d’utiliser le dessin”, avoue-t-il.
Attiré par les Etats-Unis, son cinéma et “ses possibilités d’intégration pour les personnes de couleur”, il quitte les Hauts-de-Seine et accepte un programme d’échange dès ses 15 ans. Il poursuit l’aventure et démarre sa carrière à New York dans la publicité. Il y côtoie (de loin) de grands réalisateurs, tels que David Fincher et Ridley Scott. A ce moment, le Français décide de provoquer sa chance. Il subtilise une invitation pour une fête de Noël du réalisateur d'”Alien”. Soirée durant laquelle il a le culot d’aller converser avec Ridley Scott et d’engager “une conversation de cinéphiles”. Un culot qui paye puisque les équipes du réalisateur l’invitent à les rencontrer à Los Angeles. Profitant des vols à bas prix de l’époque, Sylvain Despretz enchaîne les aller-retours, avant de déménager dans la cité des anges, “la Mecque du cinéma”, où il va toquer à toutes les portes.
Et les opportunités s’enchaînent. “Dans les années 80, il y avait une explosion des demandes de storyboarder, à la différence d’aujourd’hui”, compare Sylvain Despretz. “J’ai eu la chance d’être engagé immédiatement par Michael Jackson. Il voulait réaliser ses propres clips, mais le projet a finalement été avorté”, raconte le Français. Le bouche-à-oreille fonctionne, et il se voit proposer de nombreux projets pour effectuer des “scénarios visuels”. Sa carrière va connaître un tournant quand il réalisera le story-board de “Gladiator” de Ridley Scott, “un film transgénérationnel” dont il n’avait pas anticipé le succès.
Suivront “La Chute du Faucon noir”, “La Planète des Singes” de Tim Burton, “Mission Impossible 3” de J.J. Abrams… Il justifie ses opportunités par “un bon timing” et “de la chance”, sans omettre pour autant l’intérêt provoqué par son coup de crayon. “Un style particulier hérité des bande dessinées françaises”, reconnaît celui qui a été très inspiré par Moebius, alias Jean Giraud. Un mentor rencontré lors d’une dédicace à New York, et avec lequel il travaillera durant plusieurs années dans son studio à Woodland Hills, à Los Angeles.
Après des années d’épanouissement et de projets (aboutis ou non), il regrette que le métier se retrouve vidé de son sens, utilisé de “manière névrotique”, et effectué par des professionnels qui n’ont pas forcément la passion ou le talent. Quant à son regard sur le 7e art en France, il est particulièrement critique. “Le cinéma français a décidé de ne pas utiliser la technique, l’esthétique et de délaisser les détails… Les films manquent de préparation, de pré-production”, déplore celui qui est rarement sollicité dans l’Hexagone, excepté par Jean-Pierre Jeunet et Luc Besson (pour “Le Cinquième élément” et “Valérian” notamment).
Fier d’initier au cinéma tel qu’il l’aime (soit “classique”) à travers son ouvrage, l’artiste va désormais se consacrer à son rêve : revêtir la casquette de réalisateur. Sylvain Despretz auto-produit un documentaire musical, intitulé “Brand X : The Desert Years”, dont le tournage a été momentanément tourmenté par la crise sanitaire.