Le 12 mars 2020, à moins de deux heures de la soirée d’ouverture du spectacle Six attendu de longue date à Broadway, l’impensable se produit : le quartier mythique des théâtres doit fermer ses portes en raison de la pandémie. Pour la première fois depuis l’épidémie de fièvre espagnole de 1919, la vie culturelle s’arrête d’un seul coup et laisse des milliers de personnes – producteurs, techniciens, acteurs – au chômage technique. Aujourd’hui, après presque 18 mois de silence, c’est enfin le grand retour des shows de Broadway, dans le quartier encore convalescent de Times Square à New York.
Cette décision de rouvrir n’a pas été facile à prendre. Alors que la ville de New York a repris son cours normal au 1er juillet dernier, l’industrie de Broadway a passé plusieurs mois à revoir ses protocoles pour pouvoir ouvrir dans le respect des plus strictes conditions sanitaires. Du côté des salles, les différentes productions se sont attelées à mettre à jour les systèmes d’aération et à effectuer la désinfection complète des scènes et de l’équipement pour les rendre compatibles aux nouvelles règles sanitaires.
Remise en forme physique et vocale pour les acteurs
Les techniciens ont eu un gros travail à faire pour passer en revue les décors, lumières et systèmes de sons, qui n’ont jamais été à l’arrêt pendant 18 mois. La production de Six a dû, par exemple, remplacer tous ses costumes d’époque Henry VIII dont les couleurs s’étaient estompées. Celle d’Hamilton en a profité pour remplacer une partie de ses lumières avec des technologies plus récentes. Certains ont subi des changements plus drastiques : le spectacle de David Byrne, American Utopia, a déménagé dans un théâtre plus grand, ce qui a imposé de refaire le décor, et celui d’Harry Potter and The Cursed Child a été ramené de deux parties à une seule.
Pour les acteurs, le retour sur scène a été vécu avec un mélange de soulagement et d’appréhension, après tant de temps passé loin des planches. Quelques-uns ont réussi à se recycler dans des spectacles en Australie ou à Londres, où les théâtres ont rouvert plus tôt. C’était par exemple le cas de Gabrielle McClinton, qui a joué la comédie musicale Pippin’ à Sydney et reviendra à Broadway pour le musical Paradise Square, en février prochain. Mais la plupart d’entre eux n’ont pas pu pratiquer pendant plus d’un an et ont dû se résoudre à trouver des petits emplois pour payer leur loyer. Il leur a fallu entreprendre un gros travail de remise en forme physique et vocale pour pouvoir assurer huit performances par semaine, et les productions ont ajouté des entraînements et cours de chant supplémentaires pour les y aider.
Visites backstage et selfies avec acteurs interdits
Les équipes de Broadway se sont aussi converties à une nouvelle logistique : tous les membres de la troupe doivent être vaccinés et sont soumis à des tests Covid réguliers. Du côté du public, les spectateurs doivent désormais présenter leur vaccin ou un test négatif pour les enfants de plus de 12 ans, et toutes les personnes présentes dans la salle sont tenues de porter un masque, sauf les acteurs. Les visites backstage ne sont plus autorisées, pas plus que les selfies avec les acteurs à leur sortie du théâtre.
Malgré toutes ces mesures, une production a déjà été touchée par une épidémie de Covid : Aladdin, qui a dû annuler sa représentation après sa première soirée fin septembre, en raison d’un cas parmi les acteurs. La troupe a repris une soirée, et de nouveaux cas sont apparus, si bien que le spectacle a été arrêté pour deux semaines. Cinq spectacles ne reprendront pas à Broadway, dont les deux comédies musicales Frozen et Mean Girls, qui ont préféré se concentrer sur une tournée.
Le public au rendez-vous
Reste une grande incertitude pour le monde de Broadway : le public va-t-il répondre présent ? Une question cruciale pour cette industrie qui a perdu 35 millions de dollars par semaine de fermeture. Mais aussi pour la ville entière de New York puisque le secteur est responsable de 97.000 emplois et a rapporté dans son ensemble 14,6 milliards de dollars en 2018-2019, avant la pandémie.
Les prix n’ont pas vraiment baissé pour cette reprise mais pour attirer les spectateurs et prendre en compte l’incertitude, les théâtres ont introduit des politiques d’échange et de remboursement plus flexibles. La plupart d’entre eux autorisent les échanges et annulations jusqu’à 48 heures avant la performance. Et les deux guichets TKTS, qui vendent des places de théâtre à des prix bradés pour les spectacles du soir même et du lendemain matin, ont rouvert leurs portes à Times Square et au Lincoln Center, le 14 septembre dernier.
A la lumière de ces premières semaines, le public est sans conteste au rendez-vous. Le spectacle Waitress a pulvérisé un record historique de ventes à Broadway le 3 septembre dernier, avec 197.000 dollars de ventes. Les plus grandes salles de spectacle ont réussi à faire salle comble lors de leur soirée d’ouverture, donnant lieu à des « standing ovations » de la part d’un public enchanté de reprendre la vie culturelle new-yorkaise.
Les Français de New York interrogés sont, eux, aussi emballés à l’idée de revenir à Broadway: « Je ne suis pas stressée du tout, au contraire on attendait cela depuis si longtemps », explique Delphine Daumont. « C’était émouvant de voir l’ambiance dans la salle, les gens étaient tellement contents », raconte Emilie Chang, qui est allée voir Come From Away.
D’ici la fin de l’année, si tout se passe comme prévu, 39 spectacles de Broadway auront redémarré parmi les 41 théâtres du quartier. Une raison de plus de traverser l’Atlantique pour les millions d’Européens qui pourront voyager après la levée du travel ban, en novembre prochain.