Sophie Quéré pénètre dans une petite salle bourrée de chaises en tout genre. Mais gare où l’on s’assoit. La Française est la fondatrice de SideBySide, une société de tapisserie et de réfection de sièges qu’elle fait vivre depuis son atelier logé dans son appartement de la Fifth Avenue. Dans une autre vie, son bureau était fort différent. Elle était la directrice administrative et financière de l’Ensemble Intercontemporain, un ensemble musical créé dans les années 1970 à Paris par le compositeur Pierre Boulez. « Avec cette reconversion, dit-elle, j’ai le sentiment d’avoir fait sauter des couvercles dans mon cerveau ! ».
La culture et l’art sont présents dans la vie de Sophie Quéré depuis l’enfance, mais elle n’a jamais voulu devenir artiste elle-même – « j’ai fait un peu de guitare, mais je n’étais pas très douée ! ». Ce qui l’intéressait ? La gestion. Son diplôme en poche, elle entame une longue carrière dans le secteur culturel. Elle enchaîne les postes et les missions à la Cité de la Musique, au Musée d’Orsay, dans le monde des festivals, avant d’être nommée « DAF » à l’Ensemble Intercontemporain.
Elle y gère une équipe de quinze personnes (production, comptabilité, communication, bibliothèque, régie technique…) et traite les questions non-musicales des trente solistes de l’Ensemble. « Je n’ai jamais ressenti de frustration. J’étais très contente de m’occuper de l’organisation, de la production, de la programmation, de la vente de tickets. Cela m’a permis de découvrir plein de métiers artistiques, se souvient-elle. J’allais à beaucoup de concerts. Chaque spectacle était une découverte pour moi ».
Quand elle décide finalement d’aller voir ailleurs, au bout de dix-neuf ans, elle a du mal à trouver chaussure à son pied. Elle cherche d’abord un travail similaire dans le monde culturel, mais « ce n’était jamais aussi bien que ce que j’avais». Elle se rend compte qu’elle veut opérer un changement plus radical et jette son dévolu sur la tapisserie. Clin d’oeil inconscient à son grand-père qui travaillait dans la soierie à Lyon. « J’ai grandi entourée de tissus, de ciseaux, de coutures», observe-t-elle.
Méthodique et organisée, l’ex-directrice ne fait pas les choses à moitié. Elle commence à suivre des stages à Paris et interroge des tapissiers à tour de bras sur « comment se passent leurs journées, le marché, les clients, les fournisseurs, l’évolution du métier. Je voyais des hommes, des femmes, des jeunes, des moins jeunes... » Elle s’aperçoit aussi qu’elle n’est pas seule à choisir la tapisserie sur le tard. « Il y a beaucoup de reconversions dans ce milieu. Une ancienne collègue m’a dit que cela correspondait au moment où l’on héritait de vieilles maisons et d’objets à retaper de la part de parents décédés. Ça m’a fait rire mais ça n’est pas complètement faux ».
Dans le même temps, son mari a l’opportunité de venir travailler à New York. Hors de question de refuser. « On savait qu’on voulait partir vivre à l’étranger». En 2017, à 47 ans, la tapissière en herbe débarque donc dans la Grosse Pomme. Pour la première fois, elle monte une boîte et se retrouve à vendre ses services. Elle rejoint le réseau de femmes francophones She for S.H.E et l’américain HeyMama pour mères actives. Grâce au bouche-à-oreille, et sa présence sur deux portails en ligne (Chairish et Sotheby’s), elle s’assure un flux de travail constant.
Son créneau : les petits sièges (tabourets, chaises d’enfants, « pas les sofas ou gros fauteuils ») qu’elle vend terminés ou qu’elle tapisse pour des clients. Elle se spécialise en particulier dans les chaises anciennes, à qui elle donne une seconde jeunesse avec des tissus colorés, venus d’ailleurs. « Je ne travaille que sur des pièces que j’aime », glisse-t-elle.
Sa vie d’avant ne lui manque pas. Ce changement de carrière et de ville lui a permis de se retrouver dans un univers professionnel plus calme, qui lui donne le temps de travailler ses pièces et lui permet d’utiliser ses mains pour autre chose que l’écriture de rapports. Elle intervient également en milieu scolaire où elle raconte son parcours aux élèves et les leçons apprises en chemin.
« Changer de vie, c’est comme retourner à l’école. Cela enseigne l’humilité. Nous ne sommes plus dans la peau d’adultes qui savent tout et dont le chemin est tout tracé. Nous nous retrouvons dans une situation de fragilité, raconte-t-elle. La vie n’est pas suspendue à un choix fait quand on est jeune ».
Side By Side
Dans « Portraits de reconversions », French Morning raconte les changements de vie opérés par des Français arrivant aux États-Unis