« Jeudi soir, j’étais en France mon téléphone s’est mis à vibrer dans tous les sens. Mes investisseurs cherchaient à me joindre pour me demander si j’étais exposé à Silicon Valley Bank. J’ai essayé de me connecter à mes comptes pros et personnels, mais tout était bloqué ». François-Xavier Leduc, fondateur de Kili Technology et arrivé à New York il y a à peine un an, a vécu de l’intérieur l’effondrement de Silicon Valley Bank (SVB), la 16e banque américaine et l’institution de référence de l’écosystème tech aux États-Unis. Pour lui, l’impact n’était pas majeur : « Notre compte professionnel US nous sert simplement à payer les salaires, on savait que cela n’aurait pas beaucoup d’impact. Nous avons beaucoup échangé avec les entrepreneurs francophones du réseau French tech et Galion, c’était un week-end épique où chacun essayait d’évaluer son exposition ».
De son côté, Guillaume Bouvard, fondateur de la plateforme de distribution de cartes de crédit digitales Extend Enterprises, était dans l’avion de retour de la Californie quand il a eu vent des rumeurs sur SVB. Peu exposé, il a quand même passé cinq heures à sortir l’argent de ses comptes, sur des serveurs saturés. « Il y a un conflit entre l’intérêt particulier et l’intérêt général dans ce genre de situation. On sait que si tout le monde fait pareil, la banque fait faillite, mais on ne peut pas être le Bon Samaritain et prendre un risque par rapport à nos stakeholders ». Il explique aussi avoir dû « bloquer tous les flux entrants sur ses comptes SVB et changer les systèmes en place ». Les choses sont aussi allées très vite chez la start-up de données cryptos Kaiko. « Nous avions une exposition mesurée à SVB et d’autres relations bancaires, si bien que nous avons réussi à être proactifs et à réduire drastiquement notre exposition. La journée de vendredi était stressante avec toutes les informations qui nous parvenaient, nous ne pouvions rien faire d’autre qu’attendre », raconte Catherine Atterbury, directrice juridique de Kaiko. « Au final, cet épisode nous a forcés à avoir un plan si ce genre de situation devait se reproduire ».
Le gouvernement américain a ouvert une enquête pour définir les circonstances exactes entourant la descente aux enfers de SVB. Il semble qu’elles impliquent une erreur de stratégie, une communication bancale et une action collective de quelques VC (investisseurs dans des start-up) qui ont mis le feu aux poudres. Pour résumer, SVB avait misé sur les obligations d’État américaines à long terme et voyait ses pertes s’accumuler, dans un contexte de hausse des taux d’intérêt par la banque centrale américaine (Fed). La banque californienne a alors annoncé une augmentation de capital de 1,75 milliard de dollars, mais a avoué avoir déjà vendu 21 milliards de dollars de ses obligations, résultant en une perte de 1,8 milliard de dollars. Cette vente expresse à mauvais compte, couplée à ce besoin d’argent frais, ont fini d’affoler les investisseurs : de grands VC de la Silicon Valley ont retiré tous leurs actifs de la banque et ont ordonné à leurs start-up clientes de faire de même. En l’espace de 24 heures, pas moins de 42 milliards de dollars sont sortis de la banque, soit 25 % de la totalité de ses actifs. « Aucune banque n’aurait pu résister à cela. La banque était solvable, mais le métier bancaire repose sur la confiance », estime Jérôme Lecat, CEO de la start-up de stockage informatique Scality.
Les autorités fédérales, la Fed et la FDIC (Federal Deposit Insurance Company, agence indépendante qui a pour mission de garantir les dépôts bancaires aux États-Unis), sont intervenues rapidement pour prendre le contrôle de SVB et ont assuré dès vendredi soir que les dépôts seraient garantis jusqu’à 250.000 dollars – selon la réglementation en vigueur depuis la crise de 2008 – puis la moitié des dépôts au-dessus de ce montant, l’autre moitié d’ici trois à six mois. Une annonce stressante pour les start-up concernées. « Une telle décision aurait pu tuer des sociétés qui ont 10 ans, explique François-Xavier Leduc. Certaines étaient trop exposées par rapport à leur cash burn (besoin en fonds de trésorerie, ndlr) ». Mais dimanche, alors qu’une autre banque, Signature Bank, tombait, les autorités ont décidé de couvrir l’intégralité des dépôts de ces deux institutions, pour éviter un effondrement global des marchés financiers. Lundi matin, le nouveau patron de SVB a envoyé un mail à tous les clients en leur demandant de rapatrier leurs fonds et en assurant que les nouveaux dépôts seraient aussi garantis à 100 %, afin d’encourager la reprise d’activité.
C’est un coup dur pour les entrepreneurs, notamment les français qui avaient largement recours à SVB à leur arrivée aux États-Unis. « Leur nom est revenu à plusieurs reprises quand je me suis installé à New York. Ils m’ont ouvert un compte perso et professionnel avant même que j’arrive, ils sont très pro-business », raconte François-Xavier Leduc. De son côté, Jérôme Lecat, le patron de Scality, est client de la banque depuis 15 ans, qu’il considère comme « un partenaire », présent dans l’écosystème des entrepreneurs. « J’adore travailler avec les gens de SVB sur notre plateforme. Ils ont toujours eu une excellente réputation, méritée selon mon expérience », abonde Guillaume Bouvard.
Même son de cloche de la part de Caroline Faucher-Winter, conseillère stratégique en relations publiques de l’agence Kalamari et présidente de la French Tech New York. Cette dernière, qui avait également ses comptes à la banque, explique que SVB était la référence pour les entrepreneurs français arrivant aux États-Unis. « SVB a un fonctionnement très lean (léger, efficace ndlr), et surtout avait réussi à créer une communauté autour des entrepreneurs tech, d’experts et d’investisseurs ». Pour cette spécialiste des relations presse, l’erreur de communication est majeure. « La banque n’était pas en faillite, elle voulait lever des fonds pour sa liquidité mais a agité le chiffon rouge dans son communiqué ». Aujourd’hui, elle craint surtout pour les fintechs et les start-up de cette industrie qui risquent de pâtir de cette crise de confiance, sans avoir la taille critique pour être sauvées. « Cet événement risque d’être défavorable aux petites banques américaines. Les capitaux vont se concentrer chez les grands acteurs qui n’ont pas la même flexibilité ni les mêmes coûts », renchérit Guillaume Bouvard.
L’instinct grégaire et le FOMO des investisseurs
« La responsabilité revient à ceux qui ont semé la panique », juge Jérôme Lecat. « Une vingtaine de VC contrôlait la majorité des actifs de la banque, ils auraient dû communiquer plutôt que de lancer un phénomène de foule totalement déstabilisateur ». Il est satisfait de la réponse des autorités américaines, et se montre optimiste sur l’issue. « Je suis convaincu que cela ne leur coûtera rien au final ».
Maëlle Gavet, CEO de l’accélérateur de start-up Techstars et interlocutrice privilégiée de la Silicon Valley, approuve cette analyse. Pour elle, « le fait que SVB soit en réalité la seule banque qui soutenait les startups tech avec des lignes de crédit était en soi problématique » et en dit long sur le manque de prise de risque chez les banques traditionnelles. De l’autre côté, « l’instinct grégaire et le FOMO qui est ancré chez les VC » est à déplorer selon elle. « L’industrie est construite sur la pénurie, et l’idée que, grâce à leur expertise, analyse et réseau, ils sont les seuls capables de trier des milliers de cas pour trouver le prochain retour de 50 à 100 fois la mise ». La réalité est moins reluisante que cela, et l’effet de troupe a finalement eu raison d’une banque majeure de la tech.