Chignon à l’orientale, robe à fleurs et silhouette gracile, Shan Sa évolue dans la galerie Malborough où sont exposées ses œuvres à partir d’aujourd’hui. Elle scrute chaque détail. Les tableaux sont-ils bien droits ? Oui. «Ils arrivent avec la peinture. Ils vont passer une couche de peinture sur les murs avant le vernissage», dit-elle comme pour se rassurer.
On retrouve là le perfectionnisme de l’auteure de La Joueuse de Go et d’Impératrice. Shan Sa a quitté la Chine, adolescente. A Paris, elle apprend le français et se passionne pour la philosophie. Après son bac, elle rencontre le peintre Balthus et sa femme japonaise et devient rapidement l’assistante du maître dans sa résidence en Suisse. Quelques années plus tard, de retour à Paris, elle publie un premier livre écrit en français qui reçoit le prix Goncourt du meilleur premier roman puis un deuxième La Joueuse de Go, qui reçoit le Goncourt des lycéens. Elle continue aussi à peindre. «Mon inspiration vient de la peinture classique chinoise. Enfant, j’ai beaucoup étudié la calligraphie. J’ai copié les stèles», dit-elle.
A propos de l’influence de son mentor Balthus, elle raconte : «Ce n’est qu’après la mort de Balthus que j’ai commencé à exposer mes œuvres. C’est un peu magique, comme si une partie de son âme était ensuite venue en moi. D’ailleurs, le jour de sa mort, il a demandé à être transporté devant son dernier tableau. Il a dit à son entourage et j’en faisais partie : «Continuez». Ce fut sa dernière parole et j’ai continué sa quête de la beauté.»
Elle est de passage à New York, une ville qu’elle adore. «C’est une ville très étonnante et cosmopolite. Pour l’instant, je viens une fois par an. Si je peux venir le plus souvent possible, je serai ravie», dit-elle. Non satisfaite de parler et d’écrire ses livres en français dans une langue impeccable, Shan Sa est aussi anglophone et a des projets d’écriture en anglais. Il faut dire que les Etats-Unis lui rendent bien son enthousiasme : en 2005, elle était invitée au PEN World Voices Festival aux côtés de Salman Rushdie et Jonathan Franzen.
Elle a aussi déjà exposé à l’Asian Art fair pendant l’Armaury Show en 2005 et 2006. Elle revient cette fois-ci avec son exposition et son livre qui relate à la première personne l’histoire d’amour improbable et fictive entre Alexandre le Grand et la reine des Amazones Alestria sur fond de guerre de civilisations entre les civilisations orientales et occidentales. «Comme la série de HBO Rome, ce nouveau roman plein de sensualité va transporter le lecteur dans cette période fascinante et violente de l’histoire», annonce Harper Collins, la maison d’édition. Le livre scellera-t-il la love story entre Shan Sa et l’Amérique?
Comment expliquez-vous votre succès aux Etats-Unis?
Les Américains aiment bien les romans historiques ; ils sont plus habitués. Voilà une différence culturelle que j’ai notée : dans Impératrice, il y a quatre pages où je décris la visite de l’impératrice dans la montagne sacrée, c’est une description très en détails. En France on m’a dit que c’était trop long, fastidieux. Les Américains ont adoré et trouvaient le passage trop court. Je pense que la France est plus dans l’intimité, la psychologie. D’ailleurs beaucoup de livres qui sortent en France en ce moment parlent de la vie quotidienne. Aux Etats-Unis, il y a la tradition de grandes fresques historiques, le faste américain.
Alexandre est sorti en Septembre dernier en France. Comment a-t-il été accueilli?
C’est intéressant. D’un côté, on m’a dit que c’était le meilleur livre que j’aie jamais écrit. D’un autre, on me critique en me disant que c’est trop flamboyant, délirant. On confond ma voix et celle d’Alexandre. J’ai parlé en son nom. Alexandre était l’homme le plus puissant de la terre. Sa parole ne peut pas résonner autrement qu’avec emphase et envolée.
Pourquoi avoir choisi le thème d’Alexandre ?
Alexandre n’est pas un Européen ordinaire. C’est le seul homme de l’Occident qui s’est aventuré dans le mystère de l’Orient. Bien sûr, ça s’est fait par la violence et la guerre. Il était fasciné par la culture orientale. On sait qu’il s’habillait en Persan, qu’il a voulu apprendre la langue. Il a été trahi par ses généraux macédoniens parce qu’il donnait de plus en plus de pouvoir aux orientaux qui l’entouraient. Il a payé très cher sa passion pour l’Orient. A son époque, tous les non-Grecs étaient appelés des barbares. Alexandre était le premier à casser cette séparation raciale et à réaliser les limites de sa propre culture.
Vous avez dit «Alestria, c’est moi». Pourquoi ?
Alestria est une Amazone, sans nationalité. J’adore le mythe des Amazones, des femmes qui sont des battantes. Le système des Amazones est aussi mon idéal d’égalité. Les Amazones avaient un chef mais le chef n’avait pas de pouvoir, il s’agissait seulement une représentation du pouvoir. Les nomades n’ont pas la notion du pouvoir alors que notre civilisation de sédentaires a généré des sociétés structurées autour du pouvoir, de ses abus et de ses privilèges.
Vous avez fait les peintures en même temps que vous écriviez le livre ?
Oui, c’est une démarche très complémentaire. Quand j’écris et que je suis fatiguée, je peins. Alexandre, ce sont de grandes envolées poétiques et il y a des jours où les paroles ne coulent pas. Il y a des jours aussi, où l’on peut sentir la résistance de la toile. Donc c’est une parfaite alternance.
Vous êtes chinoise et vous écrivez en français. Voudriez-vous écrire en anglais ?
[Ecrire un roman en anglais], cela fait partie de mes futures tentations. L’anglais est une langue très poétique, sonore, sophistiquée et simple. Avec ma double culture chinoise et française, cela pourrait donner un mélange intéressant. J’adore ma traductrice Adriana Hunter. J’ai travaillé avec elle sur sur la traduction. C’est aussi ma façon d’apprendre l’anglais, avec mes propres livres.
Quelles sont les différences majeures dans le monde de l’édition en France et aux Etats-Unis?
Ici, il y a le système de l’agent, qui est un peu un tabou en France. En France, les éditeurs veulent avoir le contrôle sur les auteurs sans passer par l’agent. J’aime beaucoup le système anglo-saxon. Il y a une chose que j’ai notée, aussi bien en France qu’aux Etats-Unis, c’est l’importance de plus en plus prononcée des libraires par rapport aux critiques. J’ai beaucoup de chances car j’ai un réseau de libraires qui m’aiment beaucoup.
Quels sont vos projets ?
Cette exposition viendra à Paris début 2009 et voyagera dans le reste du monde. La destination finale est Pékin, ma ville natale. Une exposition itinérante crée toujours des tas d’”aventures”. Chaque fois, il y a des complications. L’exposition était avant à Tokyo. J’étais pour ma part à Pékin, il y avait les managers de la galerie à Tokyo, l’intermédiaire à Paris et la galerie à New York. Avec le décalage horaire, chaque email prenait deux jours à arriver à destination. Il y avait aussi les transporteurs maniaques japonais et le décalage culturel très prononcé entre l’Amérique et le Japon.
Et côté cinéma ?
J’ai des projets de films. La Joueuse de Go est en développement avec une coproduction de trois pays, la Chine, le Japon et la France. Là aussi, le choc des cultures retarde chaque fois le projet. Mais le tournage commence bientôt.
Il y a d’autres projets en développement avec l’Amérique. Impératrice et Alexandre et Alestria peuvent être des projets cinématographiques fabuleux.
Shan Sa, Time in West, Light in East
Du 24 Juillet au 7 Août
Vernissage de l’exposition, Jeudi 24 Juillet de 18h à 20h
40W, 57th street
New York, NY 10019
212.541.4900
www.malboroughgallery.com
Alexander and Alestria , Shan Sa
Harper/HarperCollins Publishers
$23.95