Si votre petit ami américain vient vous trouver un soir, l’œil coquin et le sourire ambigu, en vous demandant « Et si on fêtait la journée du steak ? », méfiez-vous : il y a anguille sous roche. Oui : le 14 mars, les Américains coquins au sourire ambigu fêtent le « Steak and BJ Day ». Et par BJ, il faut comprendre « Blow Job ». Ce jour-là, on célèbre donc la fête de la viande et de la fellation (voir – ou pas – le clip officiel). Dans le cas où vous ne feriez pas bien le lien entre les deux, on vous décrit la scène : pendant que l’homme découpe sa tranche de boeuf, sa / son partenaire lui administre un BJ. Quel programme !
L’origine de la fête est incertaine. Elle viendrait d’une blague lancée par un DJ dans les années 2000 qui serait totalement tombée dans l’oubli si Internet ne l’avait pas reprise pour en faire une réponse à la Saint-Valentin (vous aurez remarqué la subtile symétrie des dates). Une compensation pour les fleurs ou les chocolats supposés être achetés le mois précédent (voir l’article consacré au 14 février). Le terme « blow job » aurait été inventé par un cartoonist des années 1940, mettant dans la bouche de son personnage : « You give such a good blow job ! »
Depuis, la bataille fait rage entre les pro et les contre. La plupart des médias sont consternés, à l’exemple du HuffPost, pour qui la fête « donne envie de vomir ». En revanche, la chanteuse Christina Aguilera est fan : « L’idée est simple : pas de cartes, de fleurs, de bonbons ou d’autres cadeaux fantaisistes. Mesdames (et hommes gays), vous offrez simplement à votre partenaire un steak et une fellation. Pas nécessairement dans cet ordre. » On en ferait bien une chanson…
À dire vrai, même les sites consacrés à ladite fête marchent sur des œufs. Chad Barnsdale, le cofondateur de Unfinished Man, un site dédié à l’art de vivre au masculin, propose même de remplacer le BJ par une partie de jeu de société ou de PlayStation – ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Quoi qu’il en soit, et cela ne vous surprendra pas dans un pays où tout s’achète, des créatifs proposent des coupons préremplis à offrir, sous la forme « Bon pour un steak et… » Vous avez compris.
Qu’il nous soit permis de profiter de cette célébration pour nous pencher sur la pratique du sexe oral, dont on dit qu’il est assez peu tabou aux États-Unis. Vous vous souvenez sans doute que, dans l’affaire Monica Lewinsky, la fellation pratiquée par l’étudiante n’était pas toujours considérée comme une pratique sexuelle. C’est d’ailleurs l’avis de 60% des 16-25 ans sondés : « Oral Sex is Not Sex » (encore un oxymore dont les Américains ont le secret). Et que disent d’autre les chiffres ? Un tiers des Américaines ne la pratiquent pas. Chez les adolescents, les premières fois se passent entre 16 et 18 ans. À l’âge adulte, les Américains pratiquent le sexe oral environ cinq fois par mois (8 pour les couples lesbiens). À titre d’information, et de comparaison, sachez que 75% des Françaises âgées de 60 à 69 ans « participate in oral sex regularly ». Enfin, le sexe oral est avant tout un préliminaire pour 60% des sondés.
Le magazine Time apporte un éclairage intéressant sur sa représentation dans l’entertainment. Absentes jusque dans les années 1990, les références à l’oral sex sont surtout représentées comme une contrainte, un acte désagréable. Dans le livre Fear of Flying, un best-seller des années 1970, un personnage dit : « Il y a une raison pour laquelle on appelle ça un travail » (« Job » pour « travail »). Plus proche de nous, l’acte est toujours assez mal vu. Dans le film « Don Jon » (2013), le personnage principal décrit sa petite amie (jouée par Scarlett Johansson) comme « étant trop sexy pour avoir besoin de faire une fellation, comme si c’était quelque chose que seules les femmes peu attirantes devient faire pour compenser leurs autres défauts ».
Par ailleurs, Time souligne un biais dans les chiffres et les sondages : ils ne concernent que des individus de type caucasien, sans mentionner les personnes de couleur ou hispaniques dont les pratiques sont différentes. Ainsi, si 75 % des étudiantes blanches ont déclaré en 2001 avoir pratiqué le sexe oral au moins une fois, selon une étude de 2001 intitulée « Race, gender, and class in sexual scripts », seules 56 % des étudiantes latines et 34 % des étudiantes afro-américaines déclarent l’avoir fait. Et parmi ces groupes, seulement 55, 46 et 25 %, respectivement, décrivent la fellation comme une activité attrayante.
Quoi qu’il en soit, l’oral sex est encore illégal dans 18 États américains. Dans le Montana, par exemple, la pratique est passible d’une peine de dix ans de prison et 50.000 dollars d’amende. Mais rassurez-vous, chers lecteurs du Texas ou de l’Utah : un jugement de 2003 a classé ces lois anciennes comme « inconstitutionnelles ». Ne reste alors qu’un léger frisson d’interdit bienvenu.