L’Amérique n’en a décidément pas fini avec son admiration pour la Nouvelle Vague, qui a réinventé le cinéma à défaut de réinventer la vie dans les années 60. Parti de France, ce mouvement a essaimé un peu partout dans le monde, mais c’est aux États-Unis qu’il s’est peut-être le plus ancré. Les rétrospectives des réalisateurs ou acteurs se multiplient, encore aujourd’hui, plus d’un demi-siècle plus tard, et Film at Lincoln Center a décidé d’aborder cette montagne par un versant plutôt original : celui d’un critique de cinéma, Serge Daney, qui a fait autorité aux « Cahiers Du Cinéma » pendant de longues années, jusqu’à sa mort du sida en 1992.
« Never Look Away : Serge Daney’s Radical 1970s » présente une sélection très éclectique de films chroniqués par le critique français, dans une collection d’essais qui vient d’être traduite en anglais. Connue en France sous le nom de « La Rampe », cette sélection d’articles s’intitule « Footlights » dans sa version américaine. L’équipe de Film at Lincoln Center y a puisé un certain nombre de long-métrages qui seront montrés du vendredi 26 janvier au dimanche 4 février.
«On n’allait pas voir un film, on allait au cinéma»
On replonge dans une époque : « D’abord, bien sûr, la peur, écrit Serge Daney dans La Rampe / Footlights. Paris, au début des années cinquante. (…) Un enfant qui n’avait qu’à descendre un escalier et rencontrer une rue pour se retrouver au cinéma, planqué. J’étais cet enfant peureux. On n’allait pas ”voir un film”, on ”allait au cinéma”. » C’est dans ses jeunes années d’enfant timide qu’il tire son amour des films. Plus loin, il écrit : « La honte d’avoir vu et de n’avoir rien dit entraîne avec elle le défi de tout voir, de tout soutenir du regard, l’acquiescement aux aventures les plus aberrantes du Cinéma. »
Ce sont ces aventures là qu’on retrouve dans le décor majestueux du Walter Reade Theater du Lincoln Center. La rétrospective est organisée par deux conservateurs, Nicholas Elliott et Madeline Whittle, qui décrivent leur intérêt pour Daney : « Il a créé une sorte d’autoportrait collectif d’une génération de cinéphiles qui ont utilisé le cinéma comme moyen non seulement de comprendre le monde, mais aussi de le changer », expliquent-ils, en développant leur propos : « Que ce soit en définissant la distinction morale entre cinéma et propagande à travers les films de Jean-Luc Godard, de réfléchir à l’héritage d’étrangers d’Hollywood comme Nicholas Ray et Samuel Fuller, ou de considérer le droit à l’avortement et les luttes des travailleurs immigrés tels qu’ils sont vus dans des non-fictions historiques, « Histoires d’A » and « Nationality: Immigrant », Daney a toujours placé les films sur un plan éthique et intellectuel. »
Des classiques et des trouvailles
C’est peut-être cela qui plaît tant au monde du cinéma américain. En plus des réalisateurs déjà cités, on pourra retrouver lors de la rétrospective des titres classiques de Jacques Tati, Ousmane Sembène, Akira Kurosawa et Robert Bresson, des œuvres d’époque telles que « Milestones » de Robert Kramer et John Douglas, ainsi que « Salò ou les 120 Journées de Sodome » de Pier Paolo Pasolini, et une rare projection de l’épopée « Hitler, a Film From Germany », de Hans-Jürgen Syberberg.
Chaque film donnera lieu à une séance d’introduction à laquelle participera notamment la critique et réalisatrice française Axelle Ropert. « Nous voulons placer la pensée de Daney dans le présent et demander ce qu’elle signifie pour ceux qui travaillent et pensent le cinéma aujourd’hui », soulignent les deux organisateurs. Plus de 30 ans après sa mort, Serge Daney et la Nouvelle Vague continuent de fasciner l’Amérique pour avoir renouvelé comme peut-être jamais auparavant la façon de faire des films, à une époque où le critique de film était presque aussi important que ceux qui les réalisaient.