Lancée à grand renfort de trompettes -sur Twitter- par Donald Trump, la “suspension de l’immigration” entrée en vigueur le 23 avril n’avait en réalité pas changé grand chose tant elle était limitée dans son champ d’application. Mais le décret prévoyait un possible élargissement après 30 jours, donc le 23 mai. Et cette fois, beaucoup plus de “visas de travail” sont dans le viseur.
L’explosion du chômage (36,5 millions de chômeurs en plus depuis le début de la crise) a poussé Donald Trump et ses partisans à renforcer encore leur message anti-immigration. Le 7 mai, arguant de la nécessité de “limiter l’importation de travailleurs non nécessaires pendant que les familles et entreprises américaines puissent se remettre sur pied”, quatre sénateurs républicains (Tom Cotton, Ted Cruz, Charles Grassley et John Hawley) ont écrit à Donald Trump pour lui demander de suspendre certains visas pour 60 jours et d’autres pour “au moins un an”. Parmi ces visas que ces sénateurs voudraient voir suspendus pour un an on trouve les H-1B (hautement qualifiés, souvent dans le technologie) , H-2B (saisonniers hors immigration) et les “Optional Practical Training Program” (OPT) qui permettent aux étrangers venus pour étudier dans une université américaine de prolonger leur séjour en travaillant jusqu’à 24 mois.
La publication de cette lettre par un groupe de sénateurs très écoutés de la Maison Blanche sur ces questions, a créé l’inquiétude de nombre d’avocats spécialisés, et d’entreprises qui ont besoin de ces visas pour fonctionner. Plusieurs cabinets spécialisés dans l’accompagnement d’entreprises étrangères aux Etats-Unis ont déjà averti leurs clients d’un possible report des dossiers de H-1B en ce moment à l’étude. “Même si ce n’est pas encore décidé, au vu de la situation politique -et du fait que des sénateurs comme Ted Cruz sont en général bien informés sur les intentions de l’administration en matière d’immigration-, il nous a semblé utile d’alerter nos clients”, confirme un de ces avocats, souhaitant rester anonyme s’agissant de mesures pas encore adoptées.
Dès le début de la crise, les groupes de pression ont assailli la Maison Blanche, soutenus de l’intérieur par l’influent conseiller présidentiel Stephane Miller, farouche partisan de l’utilisation de la crise sanitaire pour réduire l’immigration. Mais, dans le camp opposé, les grandes entreprises -représentées notamment par l’US Chamber of Commerce- savent aussi se faire entendre de Donald Trump. C’est leur lobbying qui avait, en avril, largement vidé de sa substance la “suspension de l’immigration”. Ils ont même obtenu certains assouplissements, par exemple concernant les visas H2B, qui, bien loin de réduire l’immigration, ont en réalité eu pour effet de la rendre plus aisée pour certains secteurs! Fondé par les grands groupes de technologie, notamment Microsoft et Facebook, FWD.US fait campagne pour dénoncer “l’hypocrisie” de l’utilisation de la Covid-19 dans ce débat sur l’immigration. “Les mêmes qui demandaient la diminution de l’immigration de 50% quand nous avions moins de 4% de chômages reviennent aujourd’hui à la charge sous ce prétexte, constate Todd Schulte, le président de FWD.US. Ca n’a en réalité rien à voir avec l’économie -qui souffrira encore plus si l’on restreint l’immigration – et tout avec l’idéologie”.
Les jeunes diplômés dans le collimateur
Si le sort des H-1B et H-2B, mais aussi des visas EB-5 (investisseurs, conduisant à la carte verte) est encore âprement discuté, ce sont les OPT qui semblent le plus menacés. Il y a deux semaines, le Homeland Security Secretary, Chad Wolf, a indiqué lors d’une interview, que son département “était sur le sujet depuis longtemps”. Face à cette menace, les présidents d’universités ont commencé à se mobiliser, et à contacter les élus, pour défendre des étudiants qui, payant le plus souvent les frais de scolarités les plus élevés, sont devenus une source de revenus majeurs pour ces établissements. La suppression de ce programme -qui concernait l’an dernier quelque 220.000 jeunes diplômés- leur fait craindre une baisse d’intérêt de la part de ces recrues, qui seraient moins prêtes à payer ces sommes exorbitantes si elles ne peuvent dans la foulée rester travailler aux Etats-Unis.
Mais pour un président qui cherche à envoyer des signaux à une base très massivement anti-immigration, ce programme OPT -qui concerne notamment de nombreux étudiants chinois- est tentant. Contrairement au H1B, prévu par la loi, l’OPT relève entièrement du pouvoir de l’exécutif. “Alors que des millions d’Américains diplômés arrivent sur un marché du travail sinistré, avec des opportunités plus que limitées, cela n’aurait aucun sens de continuer un programme qu’elle a le pouvoir de supprimer”, a par exemple déclaré NumbersUSA, une association anti-immigration.
Réponse attendue dans les tous prochains jours, probablement par tweet présidentiel.