Parmi le flot de nouvelles plus folles et alarmantes les unes que les autres venant des États-Unis, la reprise en main du Kennedy Center of the Arts, passée relativement inaperçue, est un symbole de plus de la dérive autocratique voire fascisante de ce pays sous Donald Trump.
Le Kennedy Center for the Arts est une institution inaugurée en 1971. Elle symbolise l’excellence de la culture américaine, et se fait fort de rendre hommage à ses figures les plus marquantes, dans toutes les disciplines. Cette institution a toujours été célébrée de manière bipartisane, et son gala annuel a vu tous les présidents américains y assister, sans exception, jusqu’à Donald Trump lors de son premier mandat.
Si le président américain a ignoré cette institution lors de son premier mandat, il a décidé, pour son retour à la Maison Blanche et comme sur d’autres sujets (fonction publique, FBI, aide internationale…) que le motus vivendi n’était plus une option, et qu’une reprise en main s’imposait. Il vient ainsi de débarquer tout le conseil d’administration du Kennedy Center, d’en nommer un nouveau qui, en retour, l’a élu président, avant de nommer un proche, totalement néophyte sur les sujets culturels et MAGA-enthousiaste, Richard Grenell, directeur exécutif.
À l’occasion de cette prise de pouvoir à la hussarde d’une grande institution culturelle, sans équivalent dans les grandes démocraties, Donald Trump a dit que « nous n’aimons pas ce que cette institution fait », et le communiqué de presse appelait à instiller une culture qui « refléterait les aspirations du peuple américain ». Si les comparassions historiques sont parfois hasardeuses, comment ne pas rapprocher cette phrase de Donald Trump : « Je serai le président du Centre, et nous allons nous assurer que (la culture) soit bien et pas woke » avec celle de Hitler : « Nous voulons brûler le poison de l’immoralité qui a pénétré notre monde et notre culture avec les excès du libéralisme dans les dernières années » ?
Il ne s’agit pas ici de rapprocher le trumpisme du nazisme. Mais cette singulière obsession vis-à-vis de la culture traduit une réalité trop souvent niée par ceux, aux États-Unis ou en France, qui ne voient le trumpisme que sous le prisme de la dérégulation à l’intérieur et du protectionnisme à l’extérieur, avec le rejet du « wokisme » et le retour au « bon sens » comme matrice idéologique.
Or, America First, la vision de Donald Trump, désormais libéré des contraintes, va bien au-delà, pour un état d’esprit et un véritable projet de société ultra-conservateur et même réactionnaire, au sens premier du terme. Cet ordre nouveau que Donald Trump appelle de ses vœux est un appel à un retour vers un passé glorieux, qu’exprime si bien le slogan « Make America Great Again » (Rendre sa grandeur à l’Amérique). Ce n’est pas « Du passé faisons table rase » mais, au contraire, l’exaltation d’une Amérique du passé, celle où les rapports entre hommes et femmes étaient plus « simples », les minorités ethniques « à leur place » et les homosexuels devaient cacher leur orientation sexuelle.
Sans surprise, cette véritable bataille idéologique et politique est aussi une bataille culturelle, contre les créateurs, mais aussi les élites « woke », les « sachants », et cette mise en accusation globale, cette volonté de créer un ordre nouveau n’épargne aucune institution, même à l’influence limitée comme le Kennedy Center. Dans sa rage de mettre à bas l’ancien régime, Donald Trump a compris que rien ne devait lui échapper, et la sidération de ses opposants lui permet de poser tous ses pions, en même temps. Et le champ de la culture, absent de son premier mandat, lui offre une victoire symbolique éclatante sur ses ennemis, eux-mêmes détestés par ses partisans.
À bien des égards, une grande partie du peuple américain a été trahie par une partie de ses élites, et elle doit aujourd’hui assumer une mondialisation sauvage, des coûts de santé prohibitifs ou une éducation supérieure qui leur est inaccessible sur le plan financier.
À défaut de proposer des solutions pour l’inflation, les inégalités, l’éducation ou le logement, totalement absents des premières mesures annoncées ou prises par Donald Trump, les Républicains ont choisi de déplacer le curseur vers des sujets culturels comme le wokisme ou les droits des transgenres, obsession trumpiste par excellence, et, par extension très élastique, les élites en général, les journalistes et même l’ensemble des fonctionnaires, accusés d’incarner un « État profond » qui aurait trahi le peuple américain.
Le génie de Donald Trump est d’avoir su utiliser cette rancœur pour mettre à bas tout l’édifice, y compris les parties de celui-ci qui assurent encore une solidarité minimale aux plus démunis de la société. À court de solutions concrètes à des problèmes bien réels, il s’attaque donc aux symboles de ces élites honnies, comme le Kennedy Center ou le wokisme, et non aux ressorts sociaux et économiques auxquels Donald Trump et Elon Musk ne veulent en aucun cas toucher pour, au contraire, préserver et renforcer le pouvoir d’une minorité dans l’ordre à la fois révolutionnaire et réactionnaire qui voit le jour aux États-Unis à vitesse grand V.
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À propos de l’auteur : Né à Paris, Sébastien Lévi a quitté la France pour Miami en 2010 avec sa femme et ses enfants pour une expatriation avec L’Oréal. Après deux années en Israël, il est revenu aux États-Unis en 2017, à New York. Sébastien Lévi a également été le correspondant aux États-Unis pour les Cahiers Bernard Lazare entre 2020 et 2024. Il est aujourd’hui le correspondant aux États-Unis pour Radio J. Il intervient également sur la chaîne i24 News, et est contributeur occasionnel pour le site lejournal.info.