Pour dix dollars de courses au supermarché voisin , j’ai droit à un Daily News gratuit . Le quotidien liquide ses invendus comme il peut . La caissière centraméricaine me le tend sans joie aucune . Une photo pleine page de Britney Spears chauve , en short , un parapluie à la main , attelée à casser les vitres du véhicule de son ex-mari donne l’ampleur de la déroute “ Infotainment”. Tous médias confondus , l’information est dévorée toute crue par le divertissement . Les people règnent en maîtres (esses).
Nous sommes encore englués dans dans le vide tragique du non-événement Anna Nicole Smith que débarque la cantatrice chauve. Ses tribulations d’un centre de désintoxication à l’autre, d’une boite de nuit à une boutique de tatouage, vont remplir, des jours durant, les pages des journaux et les minutes de télévision et faire monter les enchères publicitaires. Pendant ce temps, les enturbannés d’Al Qaeda renforcent leurs sanctuaires dans les zones tribales de la frontière du Pakistan. Pendant ce temps, les insurgés d’Irak changent de stratégie et utilisent de la chlorine dans leurs attaques à la bombe. Pendant ce temps Bush montre l’Iran du doigt avec une insistance suspecte …
La caissière me fait une moue dubitative et s’en retourne au client suivant. A quelques rues de là des étudiants républicains de NYU ont improvisé un petit jeu « Trouvez l’immigré illégal ». Ils ont d’ailleurs du reste été accueillis par une manifestation spontanée de 300 étudiants violemment opposés à ce «pseudo lynchage».
Cela se passait jeudi sur le campus de Greenwich Village, la patrie d’Edgar Poe, Bob Dylan, Dylan Thomas ou Jane Jacobs !
Dehors, les moineaux sautillent tristement sur les blocs de neige sale compactée. Le jardin de quartier a résisté comme il a pu au blizzard de la Saint Valentin. Le temps est aux coups de froid !
Bien evidemment l’enterrement de Anna Nicole Smith aux Bahamas est bien plus divertissant qu’un gros plan sur les camps d’entrainement au Waziristan. La nuit des Oscars plus sexy que les entorses à l’Habeas corpus. Le temps de passage à l’antenne (« air time » ) en est l’indicateur. L’air du temps, lu , veut du « Fun ». Se divertir à mort ! Entre Paris Hilton, Britney Spears (« Les filles qui se tiennent mal »comme le titre Newsweek) Zawahri et Bin Laden , il n’y a pas photo !
«Personne ne sait vraiment quoi faire au sujet de l’Irak ou d’Al Qaeda, écrit Bob Herbert dans un édito du 22 Février. Un grand centre culturel comme la Nouvelle Orleans a été balayé et personne ne sait comment rebâtir sur les ruines
». La calotte glaciaire est en train de fondre, mais cela n’attire pas encore suffisamment l’attention des foules. Pas assez marrant, pas assez entertaining ! Un commentaire du Federal Way School Board interdit la projection du film d’Al Gore « An inconvenient Truth » dans les écoles sans un point de vue contradictoire. Comme s’il s’agissait d’une opinion ou, pire, de l’agenda politique des démocrates !
Dans le même ordre d’idée, la présence d’un simple mot : « Scrotum » dans une livre pour enfants « The Higher Power of Lucky » de Susan Patron, couronné par la Newberry Medal, a mis le feu aux esprits et fait bannir l’ouvrage des bibliothèques du pays ! Où commence la science, où finit la religion, ou bien encore le divertissement et l’information.
Ces temps-ci ce «pays en guerre», puritain, patauge en pleine confusion rhétorique. Comme si ses dirigeants voulaient que le public ignorât la vérité. La vérité la plus proche du réel, prouvée, recoupée par l’expérimentation scientifique.
Un scrotum, après tout, est tout simplement «l’enveloppe cutanée des testicules». L’endroit où un serpent vient mordre le héros du « Higher Power of Lucky », un chien !
« Est-ce l’Amérique ? » demande Nat Hentoff dans le Village Voice, ce pays qui kidnappe un citoyen canadien, Maher Arar, le fait torturer en Syrie, puis le garde sur la “terror list” de la CIA, alors que le Canada, dont les services secrets ont dans un premier temps permis l’arrestation, lui présente des excuses officielles.
Des vigilantes dans le Village. Un moment George W. Bush ou on ne doit surtout plus appeler un chat un chat. Il est temps, Crayon boiteux, de reprendre la route quelques temps. Dans les vallées et les montagnes, les kasbahs, les déserts ocres aux forteresses de terre d’un pays lointain. J’y croiserai peut-être la noctule géante (Nyctalus lasiopterus ), une chauve-souris de 45 cm de diamètre, dont on vient de découvrir qu’en automne elle se nourrit exclusivement d’oiseaux migrateurs. Elle part gober les rouges-gorges ou les pouillots siffleurs, parfois jusqu’à deux mille mètres au-dessus du sol.
Ou peut-être un pêcheur sortira un calamar géant du fond des eaux, au large d’Essaouira.
Que des animaux sans scrotum, très présentables. Ils ont une intégrité que n’ont plus les clowns tristes que notre société du spectacle achève un par un, l’un après l’autre , pour les besoins de son Audimat.
Bye