Le hasard du calendrier les amuse sans doute, mais ce qui les amuse plus encore c’est de feindre d’ignorer l’autre. Nicolas Sarkozy et François Hollande étaient au même moment, lundi et mardi, à New York. Le premier fait le coup du mépris quand on l’interroge sur la présence de son vainqueur de 2012 (“qui ça?”); le second lance une vacherie (“la discrimination positive parait déjà pré-historique, comme celui qui l’a inventée”). Mais au fond, lors de ces déplacements new-yorkais, les deux ex sont dans le même rôle: chacun travaille à sa trace dans l’histoire. Ils le font par des voies opposées. Le premier en refusant de parler politique, le second en en parlant beaucoup.
A la librairie française Albertine -dont il fut à l’origine alors qu’il était président-, assis au fond d’un large fauteuil, derrière une table en bois, Nicolas Sarkozy cache mal un ennui certain. Au bout d’une grosse heure de séance de signatures de son livre de mémoires Passions pour quelque 200 fans new-yorkais, l’ancien président pousse un soupir: “c’est fatigant”…
A la poignée de journalistes venus le voir là, il ne veut dire qu’une chose: qu’il n’a rien à dire. “Je ne suis plus en politique, je ne veux plus faire ce jeu des petites phrases”. Il lancera tout de même la petite pique aux journalistes: “je vois bien que je vous manque…”.
Sarkozy: “Je suis très occupé”
La veille au soir, à l’occasion du gala de la fondation américaine de Sciences Po, le message est le même: la vie politique c’est fini, et c’est très bien comme ça. Interviewé sur la scène par la journaliste de CNN International Hala Gorani, il s’insurge quand elle lui demande si cette vie-là lui manque, si l’échec de 2012 lui a pesé. “J’ai un nouveau challenge, j’ai une vie dans le privé, j’ai intégré des conseils d’administration de grands groupes, je suis avocat, j’ai un emploi du temps très occupé. Le challenge pour moi de réussir dans l’activité privée après avoir réussi dans l’activité publique, c’est un challenge formidable; Otez vous cette idée qu’on n’a qu’une vie et qu’il n’y a qu’un seul vecteur. Sans doute, si je n’avais pas été élu président de la république, j’aurais eu un manque, mais je l’ai été…”
La politique lui manque d’autant moins, dit-il, que “ce à quoi on assiste aujourd’hui ce n’est pas la politique que j’aime. Moi j’aime la vision, le leadership, les choses épiques, au fond j’aime la verticalité. Les réseaux sociaux, c’est l’horizontalité. Moi je ne suis pas fait pour l’horizontalité. Je pense que l’égalité, c’est un mensonge; je suis pour la justice, pas pour l’égalité. Il faut accepter de s’affranchir de l’égalité si on veut la justice (…). Si on est passionné par l’égalitarisme, on ne peut pas respecter la différence. Quand il faut faire semblant que tout se vaut, ça ne m’intéresse pas, je ne suis pas adapté à cette politique là”.
Ce gala de la “Science Po American Foundation”, qui récolte des fonds aux Etats-Unis pour le compte de l’école parisienne, était le but principal du voyage de Nicolas Sarkozy à New York. “Je leur devais bien ça, dit-il à la tribune lundi soir. J’ai gardé une dette envers Sciences Po: quand j’étais jeune, peu de gens m’aidaient. Je suis reconnaissant pour cette institution qui m’a accueilli”. Il n’a jamais fait mystère d’avoir été un élève médiocre, mais devant ce parterre d’anciens élèves de l’antre de l’élite française, l’ancien président avait un message principal: finalement, j’ai plutôt bien réussi… et ce n’est pas une défaite électorale qui va y changer quoique ce soit. La trace qu’il veut laisser est celle d’un battant, sorti de nulle part et arrivé au sommet.
Hollande: “je ne cesse de relire mon discours sur la finance”
Quelques heures auparavant, François Hollande était pour sa part à East Harlem, pour marquer la signature d’un nouveau partenariat entre l’association française Sport dans la Ville et l’américaine Dream, toutes deux impliquées dans la ré-insertion de jeunes défavorisés par le sport. Devant un groupe de lycéens de la charter school opérée par Dream, lui aussi a cherché à faire passer sa vision de la politique. “Il faut avoir l’idée que l’engagement politique n’est pas solitaire. La vie politique se fait avec les autres“, a-t-il expliqué. À une journaliste qui l’interroge sur la présence à New York de son prédécesseur, il répond avec un sourire en coin: “C’est bien que New York soit le lieu où se rendent les anciens présidents. Il n’est pas prévu que l’on se rencontre. Je ne sais pas ce qu’il y fait. Si vous avez des informations, vous me les donnerez”.
Mardi matin, alors que Nicolas Sarkozy dédicaçait son livre à Albertine, le socialiste présentait son petit dernier Répondre à la crise démocratique devant un parterre d’étudiants et d’enseignants de NYU, à l’invitation de Yann Coatanlem, président du conseil d’administration de la Maison Française de l’université. Les participants, auxquels des tracts critiquant certains aspects du bilan de François Hollande avaient été distribués par d’autres jeunes à l’extérieur de la Maison Française, n’étaient pas venus avec des questions en carton. Le modérateur de la conservation a commencé par poser une question sur la popularité retrouvée de l’ex-chef de l’Etat après son impopularité record pendant son mandat.
Islam, laïcité, loi travail et précarité des jeunes, récente immolation d’un étudiant devant le CROUS de Lyon qui a accusé Hollande, Sarkozy et Macron et l’Union européenne d’être responsables des “incertitudes” sur son avenir: les étudiants aussi ont abordé des questions chaudes et l’ont renvoyé face à son bilan. Un d’eux, un Français, citant un extrait de son fameux discours du Bourget, lui a demandé pourquoi le “socialisme au pouvoir” avait été “incapable” de régler le problème de la “finance“, que le candidat Hollande avait érigé en “ennemi” lors de ce discours fondateur. “Je ne cesse de le relire quand je voyage ou ne dors pas la nuit car je le trouve toujours juste, a indiqué l’ancien président. La finance n’est pas que le capitalisme. C’est une version du capitalisme. Elle ne se vainc pas sur un quinquennat“, a-t-il admis.
Un autre l’a attaqué sur les violences policières qui ont émaillé son mandat, dont l’épisode de l’évacuation de Notre-Dame des-Landes. François Hollande s’est montré agacé: “Vous auriez pu parler aussi des violences faites aux forces de l’ordre, du nombre de policiers blessés par les manifestants. Vous auriez pu parler aussi d’éléments recrutés dans les milieux les plus populaires de la nation qui sont eux aussi frappés, gazés et parfois attaqués… Vous auriez pu parler de toutes les violences. La violence n’est pas que celle de l’Etat, a-t-il dit. Notre soulèvement moral doit être pour condamner toutes les violences”.
Avant de repartir, il a exhorté son auditoire à “comprendre la complexité“, une manière peut-être de demander un peu de clémence. “On voudrait que ça soit simple, avec les bons, les méchants, le bien et le mal. Donald Trump l’a compris. Il a une vision primaire si je puis dire. Mais mon expérience montre que c’est moins binaire qu’on ne le pense. C’est plus complexe, a-t-il fait valoir. Un tweet, c’est une réaction, un discours comme celui du Bourget c’est une démonstration. Or, qui a le temps d’écouter une démonstration ?”
Emmanuel Saint-Martin et Alexis Buisson