Avec l’exposition Sargent and Paris, le Metropolitan Museum de New York explore, jusqu’au dimanche 3 août, les années de formation du peintre américain John Singer Sargent. Lorsqu’il s’installe à Paris, il n’a que dix-huit ans On pourrait s’attendre à des œuvres dont la personnalité reste à forger et dont les formats sont modestes, or, c’est tout l’inverse : il propose des portraits gigantesques d’une audace picturale « scandaleuse ». Les dix années qu’il passe dans la ville, alors considérée comme le centre du monde de l’art, ont finalement produit ses œuvres les plus libres, parmi lesquelles, Madame X, le portrait mythique de Virginie Gautreau, joyau de la collection du Met et objet du scandale au Salon de 1884.
John Singer Sargent, « Madame X (Madame Pierre Gautreau)» 1883–84, © The Metropolitan Museum of Art
Cette exposition est le fruit d’une collaboration imprévue entre le musée d’Orsay et le Met. Le projet initial de Stephanie L. Herdrich, la conservatrice en charge de la peinture américaine au Met, était de concevoir une exposition de petit format autour du sulfureux portrait de Madame X. Pourtant, les échanges fortuits avec Paul Perrin, conservateur en chef du Musée d’Orsay, ont mené les deux institutions à rassembler leur forces pour orchestrer deux expositions de grande envergure sur le thème de « Sargent et Paris ». L’exposition, qui commence au Met et comprend une centaine de peintures et dessins, va ensuite voyager outre Atlantique et se déployer à Orsay, en septembre, quelques œuvres en plus, d’autres en moins, dans une scénographie différente mais avec la même puissance. Pour la conservatrice américaine, si le miracle s’est produit, « C’était en partie une merveilleuse coïncidence d’intérêt commun et de calendrier entre les musées ».
Si les années parisiennes de Sargent rencontrent un intérêt si vif de part et d’autre de l’Atlantique, c’est qu’elles concentrent des œuvres d’une intensité non bridée. Le peintre mène des expérimentations audacieuses, comme par exemple avec Les Filles d’Edward Darley Boit, œuvre avec laquelle il transforme, en toute liberté, un portrait de famille en une scène de genre de très grand format.
Sargent arrive à Paris alors qu’il est un tout jeune homme. On peut dire qu’il s’y invente. Enfant d’une famille d’expatriés ayant sillonné l’Europe, il n’a, alors, jamais mis un pied aux États-Unis. Pour Stephanie L. Herdrich « Il n’a jamais vraiment eu de foyer avant. C’est donc un expatrié, parce qu’il se considère comme un Américain, mais, en réalité, il n’a jamais été aux États-Unis. »
Paris devient donc Sa ville. Il se plonge corps et âme dans un apprentissage intense, au cœur du Paris le plus vibrant qui soit, le Paris de Monet, dont il est l’ami, mais aussi le Paris académique des Beaux Arts où il prend des cours, avec acharnement. Sargent est un « travailleur forcené » nous confie Caroline Corbeau-Parsons, conservatrice au musée d’Orsay en charge, avec Paul Perrin, de l’exposition de septembre. Elle ajoute « Il prend plus de risques pendant la période française. » Il y a dans les œuvres de cette décennie quelque chose de « troublant » de « novateur », un quelque chose qui va s’atténuer, au fil de sa carrière, au fil des commandes d’une clientèle à laquelle il faudra se conformer, qu’il ne faudra pas effrayer. Peut-être que le jeune Sargent ose tout à Paris… jusqu’au Salon où le portrait de Madame X fait scandale pour une bretelle tombant d’une épaule… Il va retrouver, par la suite, une forme de sagesse qui montre, pour Caroline Corbeau-Parsons « sa volonté de plaire, de ne pas être rejeté du marché ».
Les Américains, et americanophiles, sont férus de l’œuvre de Sargent, ils en connaissent mieux les années de maturité, ils auront sans doute un grand plaisir à découvrir la fougue qui irrigue les œuvres parisiennes du peintre. Quant aux Français, ils bénéficieront, avec l’exposition Sargent, les années parisiennes, qui aura lieu au Musée d’Orsay du 23 septembre 2025 au 11 janvier 2026, des nombreux prêts accordés par le Met. Ils pourront ainsi apprécier cet artiste américain injustement méconnu outre-Atlantique.
La scénographie proposée au Met, où les murs sont peints en gris ou noir profond, laisse éclater la touche ardente de Sargent, les lumières puissantes dont ils pare les tissus mais aussi sa manière de faire fi des convenances par le choix d’un format, d’une couleur, d’une attitude demandée au modèle. Peut-être que les visiteurs, faisant face au portraits de Madame Gautreau ou du Docteur Pozzi exposés dans des espaces sombres aux allures de boudoir intime, seront saisis par quelque pensée elle-même scandaleuse.
« SARGENT & PARIS », Metropolitan Museum of New York, 1000 Fifth Avenue. Jusqu’au dimanche 3 août.