Comme elle le fait depuis plus d’un siècle, Saint Vincent de Paul se dresse, impassible, face au va-et-vient permanent sur la 23eme rue de Manhattan. Pâques n’y sera pas fêté cette année: cela fait deux ans que les grandes portes de bois de la petite église francophone de Chelsea sont closes sur décision de l’archidiocèse de New York. A part quelques rares visites, plus personne n’y met les pieds.
Dans le quartier, les supputations sur son avenir vont bon train. Certains pensent qu’elle sera complètement détruite un jour. D’autres parient sur la préservation de la façade. “La skyline de New York change tout le temps. Dommage, c’était une belle église” , regrette un commerçant du coin. Qu’ils se rassurent. Rien ne sera fait à l’église catholique fondée en 1841 par le prêtre français Annet Laffont. Pour le moment en tout cas. Une procédure entamée par l’association Save Saint Vincent de Paul pour la faire rouvrir est toujours en cours devant les tribunaux du Vatican et aucun coup de pioche ne pourra être donné avant le verdict final, qui n’interviendra pas avant le mois de mai.
Défendu par Gullo, l’un des rares cabinets d’avocats spécialisés dans le droit canonique, le dossier est parvenu jusqu’au dernier niveau d’appel de la justice de l’Eglise catholique, la “Apostolic Signatura”, sorte de “cour suprême” située à Rome où les cas sont débattus en latin.
“Le processus est très mystérieux. Les juges sont un groupe de six ou sept évêques, sélectionnés pour servir à Rome. Ils délibèrent sans que les représentants des parties soient dans la salle et n’ont pas à justifier leurs verdicts, explique Peter Borre, un avocat qui fait le lien entre le Vatican et Saint Vincent de Paul. Face aux juges, nous mettons en avant le fait que Saint Vincent de Paul représente une présence catholique majeure dans l’une des plus grandes villes au monde (…) Notre but est de faire durer cet appel aussi longtemps que possible pour que l’archidiocèse ne puisse pas vendre le terrain” .
Le bras de fer entre les fidèles et l’Eglise dure depuis 2007, quand l’archidiocèse de New York a signalé son intention de fermer Saint Vincent de Paul dans le cadre d’un vaste plan de restructuration. Les fidèles ont protesté contre cette décision, accusant l’archidiocèse de vouloir vendre la très lucrative parcelle de terre sur laquelle est située l’église en dépit de sa valeur historique et symbolique. Saint Vincent de Paul fut notamment la première église catholique de New York à proposer des messes en français.
Le terrain de Saint Vincent de Paul suscite des convoitises. Dans une lettre de 2013 que French Morning s’est procurée, l’archidiocèse de New York indique au Cardinal Raymond Burke, alors chef de la Signatura, qu’un contrat d’une valeur de 50 millions de dollars a été signé avec un “acheteur” , sans préciser son identité. Le contrat portait sur l’ensemble des propriétés de Saint-Vincent de Paul, à savoir l’église et un bâtiment attenant. “La réalisation de cette transaction est très importante pour mener à bien les missions pédagogiques de l’Eglise, poursuivait la lettre, avec environ 40 millions de dollars issus de la vente reversés à un fonds pour des bourses (…) Nous espérons, bien sûr, que la Signatura ne trouvera aucune raison d’examiner ce cas” .
En 2014, le site d’immobilier Crain’s a fait état d’un projet de construction d’un complexe immobilier de 25.000 mètres carrés, comprenant un hôtel de 100 chambres, des appartements de luxe et des espaces commerciaux, “au-dessous et autour” de l’église. La description de ce projet de grande ampleur a fait surface sur le site du développeur new-yorkais Maddd Equities mais a été retirée après une demande de commentaire de la part de Crain’s.
Maddd Equities comme l’archidiocèse de New York n’ont pas répondu à nos demandes de commentaire. Une recherche sur les sites SharkProperty et StreetEasy, qui recensent les transactions immobilières à New York, montre qu’aucun acte de vente n’a eu lieu.
Olga Statz, la responsable de Save Saint Vincent de Paul ne sait pas ce que l’avenir réservera à l’église si ce dernier appel échoue. “Un hôtel ou un espace commercial peuvent être construits. Il y a la place, dit-elle. Mais personne dans le quartier ne veut que cette église soit détruite. Personne ne veut d’une nouvelle tour” .
Pour sa part, Peter Borre guette le moindre signe favorable de la part de la très discrète Signatura. Il voit dans la récente nomination du Français Dominique Mamberti à la tête de la cour une raison de se réjouir. “Mamberti n’a pas passé sa vie dans les bibliothèques. Il a vécu dans la réalité. C’est un homme d’une grande importance qui a notamment participé au rapprochement de Cuba et des Etats-Unis aux côtés du Pape François et a été l’interlocuteur de John Kerry en tant que secrétaire chargé des affaires internationales du Vatican” .
Si le dossier est rejeté, le seul recours possible pour les fidèles sera d’adresser une pétition directement au Pape. “Ça sera une sorte de cri du cœur” , poursuit Peter Borre. Pour l’heure, l’attente se poursuit. Sur la 23eme rue, Saint Vincent de Paul attend de connaitre son sort.