“J’avais fait la totale. On était une quinzaine à City Hall, tout le monde de mèche. J’avais trouvé à Chinatown deux alliances pour soixante dollars, et payé à ma ‘femme’ une robe de mariée pourrie qu’on avait été chercher dans le quartier portoricain. J’avais aussi trouvé un bouquet, une jarretière, réservé un resto et fait imprimer le menu. On a une photo où on coupe tous les deux la pièce montée, avec un grand sourire, en regardant l’appareil.”
La mise en scène était plus vraie que nature. De l’extérieur, personne n’aurait pu deviner que ce mariage était blanc, destiné à permettre à Julien (les noms ont été modifiés) d’obtenir l’autorisation de vivre et de travailler aux Etats-Unis.
Comment ce trentenaire français en est-il arrivé là ? Barman à Paris, Julien décide un jour de tenter sa chance aux Etats-Unis: direction New York avec sa copine de l’époque, qui avait un cousin sur place.
Le couple débarque en touriste pour trois mois, avec un ESTA et la ferme intention de travailler – bien que cela soit interdit. Très vite, on recommande à Julien une personne qui peut lui fabriquer une fausse carte verte et un numéro de sécurité sociale. “Ca m’a coûté 150 balles, en deux jours c’était fait”, se souvient-il. Le lendemain, il pousse la porte d’un restaurant français, il est embauché illico. Sa copine suit le même chemin.
“Je viens en vacances”
Le rêve américain commence. Avec les tips, Julien empoche chaque semaine autour de 2.000 dollars, voire plus. “C’est ce que je gagnais en un mois en France, c’était hallucinant.” Les trois mois filent à vitesse grand V et bientôt le couple doit remonter dans l’avion, direction Roissy. En France, Julien tourne en rond, et réalise qu’il n’a qu’une seule envie : revenir, quitte à devenir clandestin. A JFK, l’agent de police regarde avec suspicion son passeport, son séjour précédent de “90 jours pile” (le maximum autorisé) et son retour un mois plus tard.
-Tu travailles où ?, lui assène l’agent.
-Moi, travailler ? Mais c’est interdit ! Je viens en vacances, je vais chez le père de ma petite amie, qui habite ici. Regardez, elle est au guichet à côté, improvise Julien.
– Ok. Mais c’est la dernière fois, dit-il, tamponnant son passeport et entourant en rouge la date d’arrivée.
A New York, Julien reprend son job au même restaurant. Il jette son billet de retour, et trois mois plus tard, bascule dans la clandestinité. Tout retour en France lui interdirait de revenir aux Etats-Unis pendant plusieurs années.
“Je n’avais pas d’autres solutions que le mariage blanc”
Au début, Julien vit cela de façon légère. Sa famille vient lui rendre visite, il profite des joies de la vie à New York. Il quitte sa copine, en rencontre une autre… Mais la situation lui pèse de plus en plus.
Au bout de deux ans, il se rend à l’évidence : pour rester, il doit se marier, et payer quelqu’un pour cela. “En étant clandestin, je n’avais pas d’autres solutions”, dit-il. Une opération à risques : aux Etats-Unis, un mariage blanc, s’il est découvert, est associé à “une peine de prison pouvant aller jusqu’à cinq ans maximum, ou une amende jusqu’à 250.000 dollars, ou les deux”, selon la section 275(c) de l’Immigration and Nationality Act.
Il décrit son plan à Erin, une amie américaine un peu plus jeune que lui. Elle hésite longtemps, finit par céder aux 15.000 dollars que lui propose Julien. « Le deal, c’était 5.000 le jour du mariage, 5.000 quand je reçois mes papiers, et 5.000 quand on divorce », décrit-il. Un avocat spécialisé dans les mariages binationaux (qui n’est pas informé de cet article) l’aide à rassembler les papiers.
“On a fait une grosse teuf, c’était une super ambiance”
“Le jour du mariage, c’était la délivrance, je voyais la lumière au bout du tunnel. On a fait une grosse teuf, c’était une super ambiance”, raconte-t-il. Dans la foulée, Julien se domicilie administrativement chez Erin, prend des abonnements à des magazines à son nom chez elle, une ligne de téléphone… Le faux couple déclare leurs impôts ensemble, se crée tout un dossier de preuves. Pendant ce temps, Julien vit dans son appartement avec sa copine française, qui a aussi réalisé un mariage blanc avec un Américain, “un pote de pote”.
“Autour de moi, je connais plein de Français qui ont fait ça, donc ca n’a choqué personne. Mes parents aussi, ils sont au courant. Mais qu’est ce que tu veux qu’ils disent ! Je leur ai dit que je pouvais pas faire autrement.”
L’interview: un “gros stress”
Quatre mois après le mariage, Julien reçoit un permis de travail temporaire, puis une convocation pour la fameuse interview avec les services fédéraux de l’immigration. Un moment que le couple prépare avec appréhension, car les agents n’hésitent pas à poser des questions-pièges : il leur faut connaître les goûts et les préférences de l’autre, quel est son côté du lit favori, où se trouvent les casseroles dans la cuisine, quels sont les prénoms des beaux-parents….
Le jour J, le faux couple se rend aux services de l’immigration. “C’était un gros stress, j’ai fumé un paquet de clope en dix minutes, j’étais en sueur. Pourtant, je suis plutôt relax dans la vie, mais là, je ne me la ramenais pas. Erin non plus d’ailleurs. On l’a pris comme un jeu de rôle. Dès la salle d’attente, on jouait déjà au couple, car on savait qu’il y avait des caméras partout”. Julien portait son alliance en permanence depuis le mariage pour garder la marque sur son doigt, au cas où on lui demanderait de l’enlever.
“Franchement, on croirait des vraies”
Le faux couple avait constitué aussi un bel album photo à montrer à l’administration, preuve de leur vie commune. “Là, c’était dans un restaurant, et là à une fête, on était déguisé. T’as vu comment on se regarde, comment on a l’air complice ? Franchement, on croirait des vraies. Là je fais un barbecue avec son père”, dit-il en faisant défiler les photos sur son téléphone.
Sur l’une d’elle, on voit Julien qui embrasse chaleureusement la mère d’Erin sur la joue. “J’avais dit à Erin de se préparer à prendre une photo, et j’ai fait ça très vite, sans prévenir sa mère. Elle n’était pas au courant, j’avais été présenté comme un ami…”
Finalement, l’interview passe comme une lettre à la poste, et trois semaines plus tard, Julien recoit sa carte verte. Il peut enfin quitter et revenir sur le territoire. Pour fêter cela, il part en vacances dans les Caraïbes.
Le divorce dans quelques mois
Julien garde toutefois la clef de l’appartement d’Erin et son alliance accrochées son porte-clefs, dans le cas d’une visite inopinée des services de l’immigration.
Il doit à présent divorcer dans quelques mois. “J’ai hâte, parce que tout cela, c’est quand même très chiant.” Cette histoire sera enfin derrière lui. “Je ne sais pas si je le referais. Ca m’a créé un stress énorme, et j’ai eu des tonnes de cheveux blancs à cause de çela. Mais c’était la seule possibilité si je voulais rester.” Et cela, il ne le regrette pas.
A noter que les personnes qui obtiennent le statut de résident par le mariage (blanc ou non) alors qu’ils ont été mariés pour moins de deux ans obtiennent une carte verte valable pour deux ans seulement: c’est une “conditional green card”. Dans les 90 jours précédant l’expiration de cette carte verte temporaire, ils doivent soumettre une nouvelle pétition au service d’immigration américain. Une fois que celle-ci est approuvée, la personne obtient une carte verte “normale” valable dix ans. Si cette pétition n’est pas soumise et reçue par USCIS dans les 90 jours précédant l’expiration de la carte verte temporaire, la personne la perdra.