“Quand j’ai appris que le Michelin revenait, j’en ai eu la boule au ventre. Mais maintenant je pense qu’on est tous excités, ça va amener une nouvelle énergie.” La joie comme la pression, évoquées par le chef Ludo Lefebvre (Trois Mec à Hollywood), ont envahi nombre de restaurateurs de la cité des anges à l’annonce du retour du célèbre guide.
Référence en matière d’excellence gastronomique, la version 2019 sera dédiée à toute la Californie, de San Francisco à San Diego en passant par Los Angeles. “Ca fait tourner les têtes”, avoue le Chef Christophe Emé, derrière le restaurant Kass (La Brea).
Et pour cause, le célèbre guide était absent durant dix ans de la cité des anges – l’édition LA a été suspendue en 2009 sur fond de crise économique. “C’était une aberration. Aux dernières nouvelles, Los Angeles est l’une des trois villes américaines -avec Chicago et New York- les plus importantes en terme de création culinaire. C’est un retour à la normale”, argue Lionel Pigeard, chef de Palikao à Downtown, qui déplore les “raisons arbitraires” du départ du guide. A l’époque, le directeur Jean-Luc Naret estimait alors que les Angelinos n’étaient “pas de vrais foodies”.
Aux fourneaux, comme dans la presse, les appréhensions fusent. Car dans la précédente édition, les adresses conseillées étaient jugées élitistes et non représentatives de ce qui se faisait en ville. Le LA Times, dans la continuité de la sélection du feu Jonathan Gold, regrette ainsi que les restaurants sur le pouce ont été laissés pour compte, au détriment des restaurants français aux prix excessifs. Lionel Pigeard, qui ne se sent pas concerné par les macarons, estime qu’il y a “une méconnaissance de la culture de la ville”. “Ici, les espaces dédiés à la restauration sont hors-normes. Le vrai Angelino pense qu’on mange mieux dans un boui-boui qui ne paye pas de mine.”
En effet, tous s’accordent à défendre que Los Angeles possède une culture du restaurant dans le strip mall, comme de la nourriture “casual” ou fusion en raison de sa démographie. “C’est une plateforme de créativité”, juge Lionel Pigard.
Un contre-pied aux critiques
Même si ses collègues français conviennent que la migration de jeunes chefs talentueux a transformé la scène culinaire, ils restent plus mitigés sur son évolution, plus critiques. Ainsi, Christophe Emé regrette que nombre de restaurants privilégient le volume à la qualité quand Vincent Samarco (Belle Vie à Brentwood) se désole de voir aux menus “des choses très simples et pourtant très onéreuses”. “Ce n’est pas encore une ville de gastronomes, il n’y a pas le même niveau qu’à Chicago ou New York”, concède Ludo Lefebvre.
Certains chefs français pensent que le retour de Michelin peut créer une saine émulation. C’est notamment le cas de Christophe Emé. “C’est une bonne chose que l’édition comporte les établissements de San Francisco. Cela peut niveler la qualité vers le haut, ça ne peut faire que du bien à L.A”, assure celui qui avait reçu un macaron pour son précédent restaurant L’Ortolan. Cette “bonne nouvelle” va notamment permettre aux chefs “de proposer des choses plus personnelles, de ne plus faire uniquement ce que le client veut”, estime Vincent Samarco, qui revendique une cuisine de terroir.
Pour augmenter le niveau, Christophe Emé et Ludo Lefebvre pointent du doigt le service et l’hospitalité. “On ne trouve pas de service à la française, de serveurs avec des chaussures cirées et des chemises repassées”, fait remarquer le chef du Kass, qui pense qu’un effort devrait être réalisé pour former le personnel. “Quand le salaire aux pourboires disparaîtra, il y aura plus de professionnels et moins d’acteurs pour faire ce métier.” Pour lui, le changement devra également s’opérer côté clientèle. “Les gens ne pourront pas manger en 5 minutes, en jeans et tee-shirt dans un restaurant Michelin. Ca peut changer ces mentalités, mais dans les dix prochaines années”, argue Christophe Emé.
Des Français croient en leur étoile
Toujours selon le Los Angeles Times, des tables telles que Vespertine, n/naka, Trois Mec et Taco María, devraient figurer dans la nouvelle édition régionale du guide à paraître en juin. “J’espère avoir une étoile. Le Michelin, c’est l’Oscar de la gastronomie, d’autant que j’ai grandi avec”, raconte Ludo Lefebvre, qui pense ne pas décrocher un deuxième macaron en raison de la localisation de Trois Mec, dans un strip mall. A 47 ans, ce sera la première fois qu’il sera jugé en tant que chef à Los Angeles. C’est pour cela qu’il va appliquer une attention plus grande aux détails, et a d’ores-et-déjà mis la pression à son équipe. “Je leur ai même montré “Le Grand Restaurant” avec Louis De Funès”.
Le célèbre chef pense même aller plus loin, et racheter un restaurant avant ses 50 ans pour en faire un trois étoiles. “Ca me trotte dans la tête depuis l’annonce du retour du Michelin”, confie-t-il.
Alors qu’il a déjà été récompensé par le guide, Christophe Emé ne croit pas décrocher de macaron cette année. “Si j’en veux, il faudrait que je change de concept”, estime-t-il. Très déçu de ne pas avoir eu deux étoiles pour son précédent restaurant L’Ortolan, il n’écarte toutefois pas l’idée de proposer un menu dégustation, premier pas vers le guide.
Malgré l’émulation autour de ce retour, nul ne sait quelles en seront les conséquences. “Je ne suis pas convaincu que les Angelinos y soient sensibles. Beaucoup de gens jugent le Michelin franco-français”, plaide Lionel Pigeard. Pour son confère Ludo Lefebvre, décrocher une étoile devrait attirer davantage une clientèle internationale, de passage. “Mais ça n’aura pas les mêmes effets financiers qu’en France”, estime Vincent Samarco.
La sélection sera d’autant plus complexe que la scène gastronomique est instable à Los Angeles, la durée de vie de la majorité des restaurants étant de seulement quelques années.