« Nous étions stressés. Ce n’était pas le périple le plus agréable », reconnaît Vanessa Richard. Cette Française de New York, qui s’est retrouvée bloquée en France avec son mari à la suite de l’interdiction de voyager décrétée par Donald Trump mercredi 11 mars, voulait retourner aux Etats-Unis. Elle a essayé de passer par la Martinique, mais Air France l’a « refoulée », elle et son époux, titulaires respectivement de visas O-3 et O-1.
Ils décident alors d’explorer une autre option: un passage par le Mexique qui, contrairement à l’espace Schengen et d’autres pays, n’est pas visé par le « travel ban » de l’administration américaine. « Ça nous avait été suggéré par les avocats de mon mari comme une possibilité », indique Vanessa Richard. Après avoir contacté les compagnies aériennes et l’ambassade de France au Mexique, ils décident de tenter le coup. En mai, ils se rendent donc à Mexico City, où ils passent la quatorzaine requise, avant d’atterrir à JFK. « Les agents étaient plus cool que d’habitude comme il y avait moins d’arrivées », observe même la Française. Le couple passe tout de même par la salle des contrôles, où un agent vérifie qu’ils ont bien passé quatorze jours complets sur le sol mexicain. « Ça a pris cinq minutes. »
Alors que l’interdiction de voyager se prolonge entre les Etats-Unis et l’Europe, cette piste mexicaine fait l’objet d’un regain d’intérêt de la part de Français qui veulent regagner les Etats-Unis. A l’heure actuelle, seuls les binationaux, les titulaires de carte verte et de visas diplomatiques sont autorisés à rentrer sur le territoire américain quand ils proviennent de France. A l’inverse, les détenteurs de visas non-immigrants (L, H, J, E…) ne sont pas autorisés à revenir directement de l’Hexagone.
Pour l’heure, le Mexique (et beaucoup d’autres pays) ne fait pas l’objet d’une telle interdiction. Selon le site de l’ambassade américaine à Mexico City, les frontières aériennes, ferroviaires et maritimes avec les Etats-Unis restent ouvertes, à la différence des passages terrestres (limités aux travailleurs essentiels). Une politique récemment reconduite jusqu’au jeudi 20 août. En théorie, les titulaires de visas non-immigrants peuvent donc passer par la case mexicaine tant qu’ils respectent une quatorzaine avant de se rendre aux Etats-Unis et que des vols directs sont proposés (ce qui n’est pas le cas de tous les pays non visés par une interdiction de voyage).
Titulaire d’un visa E-2, Gaby, un Français qui a souhaité rester anonyme, a fait un aller-retour entre Los Angeles et le Mexique, fin juin, pour faire tamponner son visa et rester deux ans de plus aux Etats-Unis. « Je ne voulais pas m’éterniser car les frontières pouvaient être refermées à n’importe quel moment », dit-il. A son retour à LAX, l’agent d’immigration l’a laissé passer, lui et sa famille, en demandant simplement comment s’était passé leur séjour de 24 heures. Comme il ne venait pas d’un pays « interdit », il n’a pas eu à faire sa quatorzaine sur place. « On n’est jamais confiant à 100%. Il y avait 1% de chance que cela ne marche pas », dit le Français. Quand on lui demande s’il conseillerait à des personnes venant de France de passer par le Mexique, il répond que « cela dépend de chacun. Si une partie de la famille est coincée en France, si vous avez le temps et les moyens de faire une quatorzaine au Mexique, pourquoi ne pas prendre le risque ? Au pire, vous retournerez en France. »
Opération risquée
L’opération demeure risquée. D’un point de vue sanitaire d’abord, tout déplacement accroît le risque de transmission du virus et les voyages non-essentiels restent fortement déconseillés par les autorités. Ensuite, la « réglementation change tout le temps », observe Laurent Vonderweit, avocat d’immigration en Californie. « Il commence à y avoir des clusters au Mexique. Les frontières peuvent être refermées du jour au lendemain. Sortir des Etats-Unis, c’est prendre un risque. On déconseille de le faire, surtout si c’est pour des vacances. » L’avocat rappelle que l’autorisation d’entrée sur le territoire est donnée in fine par l’agent d’immigration à l’aéroport d’arrivée, même si un visa est déjà dans le passeport.
Restaurateur à Los Angeles en visa E-2, Vincent Samarco a lui eu des déconvenues lors de sa première tentative de passage. Arrivé à Tijuana de France, fin avril, il tente de passer la frontière avec sa fiancée américaine, mais les services d’immigration les stoppent dans leur élan, contactant Interpol pour vérifier les précédents voyages du restaurateur. Ils doivent alors se rabattre sur une location à Rosarito, une station balnéaire au sud de Tijuana, où ils passeront leur quatorzaine obligatoire. « Le 5 mai, on a réussi à passer la frontière, et ils n’ont rien contrôlé », explique Vincent Samarco. Lui est entré aux Etats-Unis par voie terrestre, option pourtant réservée aux travailleurs essentiels selon les textes. Le Français indique avoir simplement présenté une preuve de résidence aux Etats-Unis. « J’avais fait des recherches sur Internet. Tout le monde m’avait déconseillé de le faire, mais j’y suis allé au culot », explique l’entrepreneur qui emploie douze personnes.
Bloqué par Air France
Pour sa part, Julien López, Français basé à Phoenix, a eu des problèmes au départ de France. Après avoir tenté de rentrer aux Etats-Unis via les DOM-TOM, idée qu’il a dû abandonner en raison d’annulations de vols, ce titulaire d’un visa de fiancé K-1 indique qu’Air France lui a interdit d’embarquer à bord d’un vol pour le Mexique en arguant – à tort – qu’il n’avait pas le droit de le faire. D’autres passagers ont visiblement eu le même problème car l’ambassade du Mexique en France a jugé bon de publier un communiqué, début juin, précisant qu’en raison « d’erreurs non imputables aux gouvernements du Mexique ou de la France, une compagnie aérienne n’a pas permis à des ressortissants français d’embarquer à destination du Mexique, sans document officiel justifiant le voyage. »
Elle rappelle en outre qu’« à ce jour, les frontières du Mexique restent ouvertes à quiconque souhaite se rendre au Mexique à partir de l’Europe. Il n’y a aucune restriction liée à la pandémie et aucun justificatif n’est requis pour prendre l’avion. » Bloqué par Air France, « j’ai décidé de prendre Aeromexico (la compagnie mexicaine, ndlr). Ils connaissent la réglementation », indique Julien López. Après deux semaines de Airbnb au Mexique, il rentre à Los Angeles sans encombres. « L’agent d’immigration m’a posé les mêmes questions que d’habitude », précise-t-il. « Finalement, j’ai eu plus de difficultés en France que pour entrer aux États-Unis. »
« Le meilleur moyen d’avoir le cœur net sur ce qu’on peut faire est de contacter les ambassades », poursuit Vanessa Richard. Si son voyage s’est bien passé, elle reconnait la part de risque qu’elle a pris. « On a eu peur de tomber malade au Mexique. D’autant qu’on n’avait pas d’assurance pour nous couvrir là-bas et que le coût de la santé est élevé », dit-elle.« Il y a quelque chose d’absurde au fait de devoir passer par un pays qui a de nombreux cas de COVID-19 alors que la situation s’améliore en Europe. »