Le confinement aura été propice à la cuisine, permettant à de nombreux Français de passer plus de temps aux fourneaux. Aux Etats-Unis, certains en ont même profité pour en faire une activité à plein temps. Mais nombreux sont ceux qui n’ont pas attendu l’épidémie de COVID-19 pour s’atteler à l’art culinaire ; pour eux, c’est le projet d’expatriation en lui-même qui a fait naître cette nouvelle vocation. Rencontre avec trois pâtissières autodidactes qui ont monté leur propre entreprise sans expérience passée. Par amour de la bonne cuisine, elles ont ouvert la leur aux Américains.
Isabelle Driel – The French Girl Bakery (Comstock, Texas)
Isabelle Driel s’expatrie en solo en 2008 et réalise son rêve : s’installer aux Etats-Unis. Professeur d’histoire-géographie en France, elle décroche un poste à Houston, dans une école privée internationale. « J’y ai enseigné pendant dix ans, avant d’arrêter ma carrière pour suivre mon mari américain, archéologue et park ranger, à la frontière mexicaine. » C’est à Comstock que débute sa nouvelle aventure entrepreneuriale. « Tant que je vivais à Houston, j’avais accès à des boulangeries françaises. Plus vraiment en m’installant dans un village texan de 450 habitants éloigné des grandes villes. J’ai donc décidé de faire mes propres produits. Je n’avais aucune expérience de la pâtisserie, même si j’ai toujours adoré les gâteaux et les sucreries. » A grand renfort de livres et de cours en ligne, Isabelle maîtrise la recette des macarons en quatre mois. « Ce produit de luxe français me permet de me différencier sur le marché local hispanique. Maintenant que j’ai une production à qualité constante, j’innove avec des parfums originaux. » Isabelle Driel n’a pas de cuisine commerciale ; tout est – littéralement – fait-maison. « La “Texas Cottage Food Law” m’autorise à le faire tant que je ne vends pas de produits qui nécessitent une réfrigération, comme par exemple la crème pâtissière – les éclairs, religieuses et millefeuilles ne peuvent donc pas faire partie de ma production. » The French Girl Bakery vend directement au consommateur : en ligne sur son site ou sa page Facebook, sur les marchés et lors d’évènements pop-up. Chaque mois, une nouvelle boîte de douze macarons est disponible : celle de Thanksgiving mélangeait truffe au rhum, banane & confiture de lait, brioche à la cannelle, framboise au chocolat blanc et cheesecake à la citrouille ; celle de Noël offre des saveurs de crème au beurre, pain d’épices, red velvet, caramel salé, sucre d’orge et chocolat noir au caramel.
Marlyne Mintori – Oui Love Cannelés (Chicago, Illinois)
Après quatre années d’aller-retours entre la France et les Etats-Unis, Marlyne Mintori rejoint finalement son mari à Chicago en 2014. En visa H4, l’ancienne paralégale n’est pas autorisée à travailler ; et son couple décide de fonder une famille. « Après mes trois grossesses, j’étais finalement prête à réintégrer le marché du travail, mais le prix des crèches restait trop élevé : j’ai donc décidé de rester à la maison », se souvient-elle. Marlyne Mintori ne le sait pas encore, mais les prémices de son projet naissent à ce moment là : « Je faisais régulièrement des cannelés pour mes amis, en souvenir de Paris, où j’y avais goûté chez Fauchon. Leurs gâteaux bordelais sont vraiment les meilleurs », insiste-elle. Le succès qu’elle rencontre dans son cercle rapproché lui donne envie d’aller plus loin : début 2020, elle imagine Oui Love Cannelés, un service de livraison de cannelés à travers tout le pays. Elle dépose alors le nom de sa société et obtient ses diplômes de responsable de sécurité alimentaire (Food Safety Manager) et gestionnaire des services alimentaires (Food Service Manager). Il ne lui manque plus qu’à trouver une cuisine commerciale : « C’est la règle dans l’Illinois. Mes projets ont évidemment été retardés avec le coronavirus, mais après un accord de principe et quelques mois d’attente, j’ai pu lancer ma production en septembre. » Classique (rhum et vanille), citron, matcha, noix de pécan ou caramel au beurre salé : Marlyne Mintori propose de nombreux parfums, et s’essaie même en ce moment à la noix de coco. Pour Noël, elle a imaginé une version pomme, cannelle et noix de pécan. Elle constate que « le cannelé, qui fait fureur dans les pays asiatiques, n’est pas tellement connu aux Etats-Unis, même si c’est en train de changer. J’espère m’y imposer comme référence. » Son ambition ? « Ouvrir un salon de thé. Le cannelé y serait roi, mais j’y vendrais également des financiers, des macarons, et des beignets à la banane en hommage à mon héritage congolais. » Les commandes de cannelés sont à passer sur la page Etsy de l’entreprise.
Voahangy Rasetarinera – The Giving Pies (San José, Californie)
En 1997, Voahangy Rasetarinera suit son époux (en formation postdoctorale) et quitte Bordeaux pour la Floride. Une fois installée à Tallahassee, elle travaille à temps partiel au sein de l’équipe administrative de l’Université d’Etat de Floride et en tant que vendeuse dans un magasin de prêt-à-porter. En 2000, le couple déménage à San José, en Californie. « Mon mari avait un visa H1B qui ne me permettait pas de travailler. Nous avons fondé une famille et je me suis occupée de ma fille », explique-t-elle. Cinq ans plus tard, Voahangy Rasetarinera obtient sa carte verte et assiste le dirigeant d’une société informatique jusqu’en 2017. « Lorsque j’ai démissionné, j’ai pris le temps d’écrire. Mes enfants me demandaient beaucoup de leur partager des recettes de famille, auxquelles j’ai dédié un blog. » C’est en cuisinant que naît sa prochaine idée : « J’ai trouvé ma tarte aux myrtilles tellement bonne que j’étais sûre de pouvoir la vendre », plaisante-t-elle. « Mais je n’avais pas envie de vendre pour vendre ; cela ne me ressemblait pas. Je me suis inspirée du concept de TOMS – l’entreprise à l’origine du “One-for-one”, qui pour chaque paire de chaussures achetée donne une paire à un enfant dans le besoin. » Elle crée alors The Giving Pies et s’engage à reverser une partie de ses bénéfices au programme inclusif E-sports, pour lequel son fils et sa fille entraînent des enfants à besoins éducatifs particuliers. Elle vend ses premières tartes sur le marché fermier de Stanford, et atteint son objectif de vente dès la première année, ce qui leur permet de faire don de 5000$ à l’association qu’elle a choisie. En 2019, son chiffre d’affaires arrive au plafond maximal fixé par la loi californienne sur les aliments faits maison (The California Homemade Act Food) qui l’autorisait à produire depuis chez elle. Une cuisine commerciale est désormais nécessaire, et Voahangy Rasetarinera imagine The Giving Pies Café. « La pandémie a ralenti les choses, mais le projet aboutira. Le café se situe dans le quartier de Willow Glen, et j’espère pouvoir l’ouvrir en avant-première la semaine de Noël. » A terme, elle souhaite y embaucher de jeunes adultes à besoins particuliers. La pâtissière reste optimiste, même si la COVID-19 l’a beaucoup impactée – elle estime avoir perdu environ un tiers de son chiffres d’affaires. « J’avais deux types de clientèle : de grandes entreprises (Facebook, LinkedIn, Apple) qui passaient commande pour Thanksgiving et Pi Day par exemple ; et des particuliers. Le premier groupe a cessé de me faire appel, mais les commandes individuelles ont augmenté. » Ses tartes, moins sucrées que leurs équivalentes américaines, francisées avec une petite touche de frangipane, rencontrent un franc succès auprès des locaux. Elles se déclinent en de nombreux parfums, dont les incontournables pomme et amande, banane et chocolat, citron, et noix de pécan.