« C’est comme une gifle que tu donnes à ton ami » : voilà comment Frédérique*, Québécoise installée depuis 21 ans en Californie, ressent l’attitude de Donald Trump envers le Canada depuis trois mois. Comme ses compatriotes, elle n’a pas digéré ses allusions répétées à l’idée de faire du Canada « le 51ᵉ État américain », ni l’annonce, dès son investiture, de l’augmentation de 25% des droits de douane sur les produits canadiens et mexicains (justifiée par le président républicain en invoquant la lutte contre l’immigration illégale et le trafic de fentanyl).
Des déclarations vécues comme une attaque sur leur souveraineté par les Canadiens, souvent perçus comme « gentils » par leurs voisins américains, souligne Frédérique, avec ce que ce mot véhicule de péjoratif. « Il y a traditionnellement une entente entre nos deux pays, rappelle cette native de Montréal. Nous sommes des partenaires, des amis. D’habitude, les Canadiens acceptent le ‘bravado’ des Américains, on les laisse faire. Mais jamais on ne s’est sentis attaqués en tant que peuple, dans notre identité, comme Canadiens. Là, je me sens trahie par ses propos. »
En février, la réaction des Canadiens ne s’est pas fait attendre : boycott des produits made in USA dans les supermarchés, hymne américain sifflé lors des rencontres sportives, voyages aux États-Unis annulés… « He poked the bear » se félicite la Québécoise, depuis la Californie. « Je suis tellement fière des réactions des Canadiens et des Québécois. Les amis, la famille au Québec n’achètent plus de produits américains. Ils ont annulé leur voyage. Je leur ai dit de ne pas venir me voir et de ne pas dépenser un seul sous ici. »
Mais ces derniers jours, à ce sentiment de « trahison » s’ajoute une crainte concernant la liberté d’expression sur le sol américain et de passer la frontière sans entrave, et ce, alors que Frédérique possède la double nationalité canadienne et américaine. « Je dois aller au Canada cet été. Je vais nettoyer mes réseaux sociaux avant de passer la frontière, car je n’ai pas envie qu’un douanier m’embête en voyant que je suis née au Canada » prévoit-elle. « C’est grave d’en arriver là. »
Mère de deux étudiants, elle s’interroge sur leur avenir aux États-Unis, non sans « culpabilité ». « En tant que presque retraités, nous pouvons repartir facilement au Canada si on veut, mais ce n’est pas le cas de mes enfants. Aujourd’hui, leur réseau et leurs repères sont ici, plus à Montréal. Mais dans quel monde vont-ils commencer leur carrière ? Ce n’est pas juste les relations entre le Canada et les États-Unis qui m’inquiètent. On s’en va sur une dictature ! »
La même angoisse agite Marie-Hélène*, une Québécoise installée depuis 17 ans à Los Angeles, où elle vit avec son mari américain et leurs deux jeunes enfants. L’arrestation et la détention pendant 12 jours de l’actrice canadienne Jasmine Mooney par l’ICE, en mars, l’a effrayée, et elle dit prendre au sérieux les mises en garde du gouvernement canadien à l’égard des voyageurs aux États-Unis.
À tel point qu’elle hésite à revenir au Canada cet été. « On a booké notre hébergement au Québec, mais on ne sait pas si on va y aller. On a peur de traverser les frontières. Je connais une personne qui a été interrogée, ils ont gardé son cellulaire et ne l’ont pas laissée entrer car elle avait publié des posts contre Trump sur les réseaux sociaux. On se croirait en Corée du Nord » s’emporte la Québécoise, pourtant titulaire d’une carte verte. Une situation aussi inédite que stressante, alors qu’il a toujours été aisé, pour les Canadiens, de circuler entre ces deux pays amis, rappelle-t-elle.
Pour les Québécois qui ont choisi de vivre aux États-Unis, pays de la liberté, c’est la désillusion. « Il y a de la peur, de la tristesse, constate Marie-Hélène. On a tous et toutes décidé de venir habiter ici, c’était un choix. De voir un pays s’autodétruire, ce n’est pas fun. » Alors qu’au Québec, la société est connue pour son inclusivité, elle s’inquiète de la perte des droits de la personne dans l’Amérique de Trump : « Je n’ai pas envie d’élever ma famille dans un monde où on ne peut pas être homosexuel ou se faire avorter. Toutes ces libertés de la personne qui disparaissent, ce n’est pas le futur que je veux. »
Pour autant, quitter la Californie où elle a son travail, sa maison et sa famille, n’est pas à l’ordre du jour. Ce serait « une option de dernier recours » estime Marie-Hélène, qui s’interroge sur la ligne rouge que franchirait Donald Trump qui les pousserait à partir. « On n’a pas trouvé la réponse » glisse-t-elle, tout en espérant que la situation actuelle ne durera pas.
La tempête Donald Trump n’affecte toutefois pas tous les Québécois établis aux États-Unis. « Je n’ai pas un sentiment de crainte ou de panique, contrairement à la majorité des Québécois, assure Evelyne Ouellet, à la tête de son agence immobilière à Los Angeles. Cette native de Trois-Rivières, au Québec, est arrivée en 2011 en Californie avec son mari et leur fille, et se sent d’autant plus sereine qu’elle possède aujourd’hui la double nationalité. « Je choisis de ne pas laisser trop de place à la politique dans ma vie, car ça peut être déprimant. Il fait soleil, j’adore mon travail et Hermosa Beach, où je vis, et où j’ai la chance d’être entourée par une belle communauté. »
Pour elle qui possède deux maisons en Californie, pas question de quitter les États-Unis, contrairement à certaines de ses connaissances, sur le départ. Cultiver les liens avec ses racines québécoises est néanmoins plus important que jamais. « Nous sommes en train d’acheter un pied-à-terre au Québec, au bord d’un lac, ça va changer notre style de vie », se réjouit Evelyne Ouellet, très proche de sa famille restée au pays.
Dans ce climat d’incertitudes, s’il y a bien un point positif pour elle, c’est que Donald Trump a réussi l’exploit d’unir les Canadiens, contre lui. « Je n’ai jamais vu les Québécois se sentir aussi Canadiens qu’en ce moment, sourit-elle. Je vois une fierté d’être Canadien de la part des Québécois, ce qui n’était pas le cas depuis les 30 dernières années. »