Eric-Emmanuel Schmitt se réjouit. Il prévoit «un mélange frénétique de culture et de shopping» pour sa venue à New York. «New York offre le mieux de ce qu’une ville peut offrir. A chaque fois que je viens ici, je me dis que je pourrais y habiter», dit l’écrivain français qui vit à Bruxelles.
Dans le rôle de la Pink Lady de la version américaine jouée au French Institute Alliance Française, ce sera Rosemary Harris, une grande dame du théâtre américain (et par ailleurs la tante May Parker dans Spiderman…).
Avant de venir à New York, le dramaturge/écrivain/réalisateur finit le tournage au Canada d’Oscar et la dame rose avec Michelle Laroque dans le premier rôle féminin. Il tourne là “les scènes de catch sous la direction de Franco Dragone, le fondateur du Cirque du Soleil ; ça sera les dernières minutes du film.”
L’«écrivain populaire », comme il aime à se décrire, vient aussi de sortir Ulysse from Bagdad. Il parle du sort de Saad, un clandestin qui fuit l’Irak pour gagner l’Europe. Une fois n’est pas coutume, le roman est déjà un bestseller en France. Europa Editions (l’éditeur du bestseller L’Elégance du hérisson de Muriel Barbery) est sur le pont pour sortir le livre aux Etats-Unis. Les aventures de Monsieur Schmitt en Amérique ne font que commencer…
French Morning: Etes-vous satisfait de la traduction de votre pièce?
C’est une traduction qui me parait très juste dans la langue et très fidele à ce que j’ai écrit. Je sais si la traduction est bonne quand je suis dans la salle. La vérification des traductions est toujours expérimentale dans laboratoire du théâtre.
Rosemary Harris est-elle la Danielle Darrieux américaine?
Je crois qu’il n y a plus personne aux Etats-Unis qui, à 91 ans, joue encore. Personne qui n’ait sa longévité, sa santé, sa beauté inoxydable.
Rosemary Harris a 80 ans…
Oui? C’est une jeune fille par rapport à Danielle Darrieux. Rosemary Harris a un immense talent. Ce qui me surprend avec ces actrices, c’est qu’elles fonctionnent comme à 20 ans avec la peur, l’adrénaline, le défi, la volonté de séduire. Ce sont exactement les mêmes moteurs.
Qu’est-ce qui dans votre œuvre résonne bien auprès du public américain ?
J’ai une caractéristique : je n’ai pas peur de l’émotion. Je mêle la réflexion intellectuelle et l’émotion, ce qui surprend en Europe parce que souvent les intellectuels sont dépourvus d’émotion.
L’élément religieux peut-il aussi plaire ici?
Oui et c’est un autre élément qui surprend en Europe. On ne s’attend jamais à ce qu’un intellectuel soit à l’aise et décomplexé par rapport au religieux. L’intellectuel est soit dans le refus du religieux, soit il est sous une bannière religieuse, auquel cas pour certains il cesse d’être un intellectuel. Moi, je m’intéresse à toutes les religions, que ça soit la religion juive et musulmane dans Ibrahim et les fleurs du Coran ou chrétienne dans Oscar. Jamais, dans mes histoires, les personnages ne cherchent à être prosélytes, ils témoignent d’une belle vie.
Vous êtes destiné aux Etats-Unis alors?
J’adorerais que l’Amérique m’ouvre les bras. Je me blottirais dedans.
Et côté cinéma ?
J’avais franchi la barrière du cinéma avec mon premier film [Odette Toulemonde, sorti sur les écrans en février 2007]. Après ce nouveau film, j’ai vraiment pris le virus, je vais continuer ma vie de romancier mais j’aimerais qu’il y ait des escapades au cinéma. En France, on donne la possibilité aux écrivains qui ont une audience de prendre la caméra. C’est une tradition française : Pagnol, Guitry, Duras… Peut-être les écrivains en France ont un niveau de notoriété qu’ils n’ont pas aux Etats-Unis. On fait parti du paysage culturel et médiatique. Il y a plus de confiance, on peut investir sur un écrivain connu.
Pour les prochains films, vous souhaitez faire des adaptations de vos livres ?
J’ai de très bonnes relations avec un assez bon écrivain qui fait de bonnes histoires: Eric-Emmanuel Schmitt… En plus, il est très cool sur les droits d’auteur.
Votre dernier livre Ulysse from Bagdad parle d’un Irakien, émigré clandestin. Pourquoi avoir écrit ce livre?
Je voulais rendre leur dimension héroïque à ces millions d’hommes qui vont être de plus en plus nombreux dans les années à venir. Aux migrations politiques et économiques vont s’ajouter les migrations climatiques. J’ai démarqué le récit d’Ulysse. Le clandestin est un survivant, un homme courageux, quelqu’un qui se sacrifie pour sa famille. J’ai pu faire quelque chose que le journaliste ou l’historien ne peuvent pas faire : adopter un point de vue.
Comment avez-vous procédé ?
Par des recherches, des documents des Nations Unies, des articles, des rencontres de clandestins. J’ai cherché ce qui était invariable dans ces destins pour repérer un certain nombre d’invariants universaux. J’ai laissé mon imagination compléter.
Vous parlez des faux espoirs de la libération américaine en Irak. Quel regard portez-vous sur l’Amérique ?
Le héros a une attitude ambiguë et ambivalente par rapport aux Etats-Unis. Quand les Américains arrivent, il dit «Qui allait réagir en moi?» Est-ce l’Irakien, le démocrate, le musulman ? Selon qui réagit, le regard est différent. Saad y voit à la fois une guerre de libération et une agression. Il constate surtout qu’une fois la guerre prétendument finie, c’est le chaos. Personne ne peut dire autre chose.
Nous avons tous plusieurs pôles de réaction en nous. Si vous prenez mon rapport aux Etats-Unis, j’ai plusieurs attitudes. Je suis heureux que le pays soit une superpuissance car c’est un peuple d’émigrés donc qui a la mémoire de fragilité. C’est aussi une démocratie et un pays aux valeurs chrétiennes. En même temps, la superpuissance me met en colère quand elle n’est plus au service de valeurs mais de la superpuissance.
Que pensez-vous de l’arrivée de Barack Obama ?
L’arrivée d’Obama, c’est l’arrivée de l’optimisme. J’étais fou de bonheur quand j’ai appris qu’il avait gagné les élections. J’ai vu le retour en scène des Etats-Unis que j’aime. On a enfin voté pour un optimiste, quelqu’un qui croit que la politique peut changer les choses. «Yes we can».
Oscar and the pink lady
Les vendredis 16, 23 et 30 Janvier à 20h
Les samedis 17, 24, 31 Janvier à 15h et 20h
Les dimanches 18, 25 Janvier et 1 Février à 15h
French Institute Alliance Française; Florence Gould Hall
55 East 59th Street
$35 pour les membres; $45 for non-membres
212 307 4100 (Ticketmaster)
Information: fiaf.org
212 355 6160
Discussion avec Eric-Emmanuel Schmitt : Jeudi 22 Janvier à 19h, French Institute Alliance Française, Skyroom