« C’est l’histoire d’un rêve politique. L’histoire d’une communauté de 300 Français souhaitant créer une nouvelle société idéale au Texas» commence Gabrielle Cadier-Rey d’une voix vibrante. L’historienne (auteur notamment de “Les Français de 1900, éditions Taillandier) a plus qu’une raison professionnelle de s’intéresser à l’épisode méconnu des “utopistes” français au Texas au milieu du XIXème siècle.
En 1856, le français Allyre Bureau, arrière-arrière grand-père de Gabrielle Cadier-Rey, immigre à Dallas afin d’y fonder une communauté utopique francophone nommée La Réunion. C’est cette histoire que Gabrielle Cadier-Rey est venue raconter aux Alliances Françaises de Dallas et Houston cette semaine.
A l’époque, des millions d’Européens embarquent vers l’Amérique. Certains tentent le voyage pour raison économique et poussés par la faim ; d’autres, comme Allyre Bureau, pour raisons idéologiques et politiques. Tous sont menés par le rêve américain : la promesse d’une immensité vierge où tout est à construire et l’espoir de terres offertes sur lesquelles s’installer avec leur famille. « En Europe, c’est l’époque du nouveau modèle industriel : les villes attirent les gens de la campagne qui viennent travailler comme ouvriers dans les usines. Dans ces villes, c’est la misère totale. Les industriels réinvestissent dans des machines plus performantes mais pas dans les salaires» raconte Gabrielle Cadier-Rey.
Parmi les “utopistes” beaucoup se réclament de Charles Fourier. Au total, on recense une trentaine de colonies fouriéristes à travers les Etats-Unis, toutes fondées après la mort du philosophe socialiste (en 1837), notamment à l’initiative du disciple américain de Fourier, Albert Brisbane.
Musicien, compositeur et journaliste, fréquentant Victor Hugo ou Berlioz, Allyre Bureau, idéaliste, fuit la France conservatrice de l’Empire de Napoléon III et prend la tête d’une de ces communautés d’immigrants que vient de créer son ami Victor Considérant, fouriériste célèbre. Contraint à l’exil pour s’être opposé à Napoléon III, Considérant a parcouru les Etats-Unis et visité le Texas. Il en est revenu convaincu d’avoir découvert “la perle des trente-deux états de l’Union, où rien ne gêne, il y a de la place. Le sol, est fécond, il n’a pas besoin d’engrais”.
« L’objectif est de créer au Texas des communautés, des phalanstères, qui mèneraient une vie si harmonieuse et si parfaite que cela se répandrait en Amérique et jusqu’en Europe et que cela réformerait toute la société. Dans ces communautés, tout le monde aurait le même caractère et serait heureux de travailler ensemble» explique Gabrielle Cadier-Rey. C’est une nouvelle organisation du travail qui est proposée.
La famille Bureau s’installe mais très vite l’expérience, comme celle de toutes les colonies fouriéristes américaines, va tourner à l’échec. De nombreuses raisons l’expliquent: l’objectif d’un travail organisé pour être harmonieux ne fut pas assez productif économiquement. Chacun changeait de métier tous les jours pour permettre une répartition variée des tâches les plus lourdes. Cela dispersait la compétence et l’acquisition de compétences. De plus, les immigrants étaient principalement des intellectuels peu habitués à cultiver la terre ou à pratiquer des tâches manuelles. Par ailleurs, le sol sur lequel s’était installée La Réunion était calcaire et peu fertile. De nombreuses familles rentrèrent au pays déçues et ruinées.
Lors d’un dernier grand voyage vers Houston en 1859, Allyre Bureau meurt de la fièvre jaune. Suite à son décès, sa famille rentre en France.
Plus encore que l’histoire d’Allyre Bureau, c’est aussi le parcours d’une famille française passionnée par le récit de vie son aïeul. « Tous les documents d’Allyre Bureau, datant de son expédition de trois ans au Texas ont été conservés dans un petit coffre de cuir rouge qui, depuis 160 ans, se transmet de génération en génération dans notre famille » exprime Gabrielle Cadier-Rey. « Tous les garçons de la lignée portent le prénom d’Allyre . Un prénom rare et précieux pour nous. Tout comme la terre prélevée à l’endroit de la tombe d’Allyre Bureau et retrouvée dans le coffre».
Toujours sur les traces texanes de son ancêtre, Gabrielle Cadier-Rey recherche activement la sépulture. Des fouilles dans une végétation extrêmement dense aux alentours d’une vieille bâtisse d’époque vont être pratiquées cette semaine. « Le Texas reste notre rêve Américain et c’est pour cela que je suis venue vous en parler aujourd’hui» conclut, dans un sourire, Gabrielle Cadier-Rey.