Ils et elles sont PDG, directeurs ou artistes, et Français.e.s à New York. Et par les hasards des réseaux d’expats, ils sont devenus les meilleurs soutiens d’une des associations new-yorkaises qui viennent en aide aux sans-abris de la ville, la Bowery Mission. Retour sur une chaîne d’amitiés et de cœur.
Au bout de la chaîne, il y a ces photographes -célèbres ou moins- qui donnent leurs photos pour aider à récolter des dons. Raymond Depardon a sélectionné une photo de Brooklyn vide, regardant vers Manhattan; Jean-Pierre Laffont a lui choisi une de ses images les plus connues, une scène d’enfants jouant sur une voiture abandonnée dans le Bronx des sixties. Au total, 55 photographes ont offert une œuvre pour une vente exceptionnelle de quelques semaines. Pas tous Français, loin de là, mais tous mobilisés par Julien Alamo, qui dirige la filiale new-yorkaise de Picto, imprimeur spécialisé dans la photographie professionnelle. “Ca s’est fait en une journée; je me suis mis à faire le site en mettant tous les photographes auxquels je pensais, 3 jours plus tard, tous avaient donné leur accord”, raconte Julien Alamo. Le “catalogue” de cette exposition très spéciale, comprend de grands noms (Depardon et Laffont donc, mais aussi John Stanmeyer, Gilles Peress) et de plus jeunes talents. Chaque photographie est vendue pour $150, au profit de la Bowery Mission.
En amont sur la même chaîne, il y a un groupe de Françaises et Français qui, régulièrement, servent des repas à la Bowery Mission. Pascale Roux de Bezieux en fait partie. Française installée à New York, elle est photographe. Depuis le début du confinement, elle passe beaucoup de temps dans la ville pour la photographier. “On ne voit plus que les sans-abris dans la rue, et ils sont encore plus isolés qu’auparavant. A Bryant Park, par exemple il n’y a plus qu’eux; souvent des gens dont on a l’impression qu’ils viennent de perdre leur toit, ils traînent une valise avec eux”.
Inspirée par deux opérations similaires, l’une à Bergame en Italie (“100 photographers for Bergamo”) et l’autre à New York (“Pictures for Elmhurst”, en faveur de l’hôpital de Queens particulièrement affecté par la crise), Pascale Roux de Bezieux a l’idée de faire la même chose au profit de la Bowery Mission. Elle le propose à Julien Alamo il y a deux semaines. L’opération “Picto Loves The Bowery Mission” est lancée sur le champ. Pour l’heure, les ventes n’ont pas encore atteint les sommes de Bergame (plus de 700.000 euros) ou Elmhurst (1,4 million de dollars), mais il reste encore près d’une semaine (clôture le 10 mai).
New York, championne des millionnaires… et des sans-abris
Un peu plus en amont encore dans la chaîne, on trouve la raison de l’engagement de Pascale Roux de Bezieux auprès de la Bowery Mission. “C’est Alain Bernard qui nous a tous entraînés dans l’aide à la Mission”, raconte-t-elle. Car depuis quelques années, l’association d’aide aux sans-abris, qui gère 9 sites d’accueil, est devenue la cause d’un groupe de Français de New York, autour notamment d’Alain Bernard, PDG de Richemont North America (le groupe de luxe propriétaire entre autres de Cartier, Van Cleef & Arpels, Piaget, Lancel…). Tout a commencé avec une envie de volontariat familial: “on venait d’arriver à New York et on a cherché un endroit pour se rendre utile et simplement servir des repas pour Noël, raconte-t-il. Dans cette ville qui compte un million de millionnaires (de loin le plus au monde), il y a aussi 70.000 sans-abris. Les inégalités sont tellement criantes ici, beaucoup de gens ont envie de faire des choses pour aider. On a trouvé la Bowery Mission par hasard et on s’est attaché à ce qu’ils font.”
Dans les années qui suivent, une petite bande, d’abord constituée d’amis de la famille Bernard puis élargie depuis, a pris l’habitude de venir servir la soupe dans les centres de la Mission. “Tout cela était très organique, raconte Alain Bernard, et puis j’ai commencé à impliquer la boîte, Van Cleef d’abord, puis tout le groupe Richemont”. Au fil du temps, le groupe de Français qui veillent sur la Bowery Mission devient de plus en plus impliqué, notamment pour aider à lever de l’argent. Lors du gala de 2019, Steve Fiehl, entrepreneur français installé à New York, devenu photographe après avoir vendu son entreprise de e-learning, présente une exposition de ses photos consacrées aux “clients” de la Mission. En février 2020, Alain Bernard est cette fois l’invité d’honneur du gala avec -comme c’est la règle dans le monde de la philanthropie américaine- pour tâche de lever des fonds. Objectif atteint: 1,4 million de dollars sont récoltés au cours de la soirée, quelques semaines avant l’explosion de la crise du coronavirus.
Trois fois plus de repas qu’avant la crise
Depuis les besoins ont été décuplés. Organisée autour d’un travail de long terme, permettant de réinsérer les sans abris dans la vie économique et sociale, l’association s’est trouvée face à l’urgence et l’explosion des besoins causée par la Covid-19. “On sert trois fois plus de repas qu’en temps normal”, raconte Marie de Foucaud, une des cheville ouvrières de la communauté qui va régulièrement servir des repas. En même temps que cet afflux de demande, il faut faire face au tarissement des sources d’approvisionnement. D’ordinaire, une part importante de la nourriture distribuée vient des restaurants qui donnent leurs invendus. Les restaurants étant fermés, l’association est forcée d’acheter. Du coup, là encore, le réseau français s’est mobilisé. Danone et Michel et Augustin ont donné de la nourriture. Et Eurazéo, la société d’investissement dirigée par Virginie Morgon, autre représentante de la communauté des affaires franco-new yorkaises, a attribué à la Mission une partie de l’enveloppe de 10 millions de dollars de dons à diverses organisations, annoncée en avril.
“L’association est financièrement en danger, dit Alain Bernard. Mais cette période difficile pour tout le monde révèle aussi beaucoup de moments d’humanité. Il y a une sensibilité accrue, une envie d’aider son prochain”. Les besoins sont plus immenses que jamais, mais les volontaires sont là. Masques sur le visage. Parce que ce n’est pas le moment de laisser tomber.
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