Commentaires racistes vs enthousiasme des fans et des amateurs d’histoire : le moins que l’on puisse dire, c’est que la performance de Lizzo n’est pas passée inaperçue. Le mardi 27 septembre, la méga-star afro-américaine de la chanson a joué la superbe flûte de cristal du quatrième président des États-Unis (et propriétaire d’esclaves), James Madison, lors de l’un de ses concerts à Washington. Flûtiste de formation, elle l’avait testée la veille lors d’une visite à la Bibliothèque du Congrès (Library of Congress ou LOC), où elle est entreposée.
Les réactions au geste de l’artiste ont éclipsé l’histoire de la flûte elle-même, l’une des nombreuses incarnations de la longue amitié entre la France et les États-Unis. En effet, l’instrument a été confectionné par le Français Claude Laurent, un horloger mélomane né à la fin du XVIIIe siècle dans un village de Haute-Marne. Après s’être mis à faire des horloges partiellement en verre, il s’était lancé dans la production de flûtes dans le même matériau, déposant un brevet en 1806.
« On ne sait pas pourquoi il a commencé à les fabriquer », raconte Carol Lynn Ward-Bamford, responsable de la collection instrumentale de la Bibliothèque du Congrès, qui a tendu la flûte à Lizzo lors de son concert à la Capital One Arena. « Cela pourrait-être lié à un mariage avec quelqu’un issu d’une famille de fabricants de verre mais nous n’en avons pas la confirmation. Peut-être était-il fatigué du bois et voulait tenter autre chose ! ».
Une certitude: « il a envoyé ses créations à plusieurs chefs d’État, des monarques, des membres de la noblesse », poursuit Carol Lynn Ward-Bamford. Le Père fondateur des États-Unis était sur sa liste, bien que les deux hommes ne se connaissaient pas et que l’Américain n’était pas flûtiste. D’après la chercheuse, Claude Laurent voulait offrir son bébé en cadeau pour féliciter le locataire de la Maison-Blanche pour sa seconde investiture, en 1813. Il avait pris le soin de graver le nom du dirigeant sur un morceau de métal autour de l’instrument. « Ce cadeau était un geste commercial. Ceci dit, cela n’enlève rien à la qualité du travail de Claude Laurent. Personne n’a été capable de rivaliser avec son savoir-faire ».
Un trésor pour lequel le Français n’a jamais été remercié. En 1815, il a envoyé une jolie lettre au « président Madison » pour lui demander s’il avait bien reçu son présent, mais il n’y a aucune trace de réponse.
La flûte a bien failli ne jamais arriver entre les mains de Lizzo. Elle aurait pu être emportée par l’incendie de la Maison-Blanche par les Britanniques en 1814. Mais Dolley Madison, la très francophile Première dame, l’aurait sauvée, parmi d’autres objets, en fuyant la résidence présidentielle. L’instrument a ensuite été récupéré par son fils, qui l’a ensuite légué à son médecin, peut-être pour rembourser ses dettes médicales. Il l’a donné, à son tour, à un collectionneur en Ohio : Dayton Miller. Ce grand amateur d’instruments à vent l’a remis avec 1 700 autres pièces à la Bibliothèque du Congrès en 1941. À ce jour, elles constituent la plus grande collection de flûtes au monde.
Sur les vingt créations en verre de Claude Laurent présentes dans les fonds de l’institution de recherche, seule celle de Madison est en cristal. Des tests réalisés par le personnel de la LOC ont établi que les autres avaient été fabriquées dans un type de verre qui perd de sa clarté avec le temps.
Depuis que Lizzo a soufflé dans la fameuse flûte sur scène, tout en faisant son légendaire « twerk », l’intérêt pour cet objet historique n’est pas retombé. « Nous recevons énormément de questions sur son passé, comment il est arrivé aux États-Unis, comment nous préservons quelque chose comme ça, précise Carol Lynn Ward-Bamford. Maintenant, plus de gens voudront s’essayer à la flûte ! ». En cristal ?