Jusqu’à présent, les Français de l’étranger (hors Europe et Maghreb) devaient cotiser au moins trois mois à la sécurité sociale pour bénéficier de la prise en charge de leurs soins quand ils rentraient en France. Cela ne sera bientôt plus le cas en raison d’un changement de législation qui semble avoir pris nombre d’élus des Français hors de France complètement par surprise.
En vertu d’une disposition logée dans la loi de financement de la sécurité sociale, adoptée en décembre, ils devront justifier d’au moins quinze ans de cotisations pour bénéficier de cette prise en charge et de la carte vitale. La mesure entrera en vigueur le 1er juillet 2019.
Annie Michel, conseillère consulaire à New York et vice-présidente de la commission des affaires sociales de l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE), a interpellé l’administration sur le sujet dans une question écrite publiée le 21 mars sur le site de l’AFE. Elle dénonce une mesure à l'”impact indéniable et injuste pour les Français de l’étranger“.
“Je suis tombée des nues, indique-t-elle par téléphone. Aucun sénateur ne nous a alertés. On l’a découvert en parlant entre collègues de l’Assemblée des Français de l’étranger“. Elle précise que cette mesure va affecter des personnes qui se font soigner en France car elles n’ont pas les moyens de s’offrir des soins coûteux aux Etats-Unis. Elle juge également la mesure discriminatoire par rapport à l’âge: “qu’en est-il de ceux qui ont cotisé pendant 13-14 ans ?, se demande-t-elle. On fait un grand écart. On passe d’un trimestre à quinze ans !“.
L’article 52, II 4e b de la loi des finances du 22 décembre 2018 stipule que les titulaires de pension ou rente de vieillesse “servie par un régime de base de sécurité sociale français“, et n’exerçant pas d’activité professionnelle, pourront bénéficier de la prise en charge lors d’un séjour temporaire dans l’Hexagone si leur pension rémunère “une durée d’assurance supérieure ou égale à quinze années au titre d’un régime français“.
Cette mesure ne concerne que les courts séjours en France. Au-delà de trois mois, les retraités français qui n’ont pas cotisé assez longtemps peuvent bénéficier du dispositif d’aide médicale PUMa (protection universelle maladie), qui a remplacé en 2016 la Couverture Médicale Universelle (CMU). Ils peuvent aussi cotiser de manière volontaire à la Caisse des Français de l’étranger (CFE), en plus de leur assurance locale. Mais l’addition peut s’avérer couteuse.
“Cette clause des 15 ans existait déjà pour les travailleurs de nationalité étrangère. Il s’agit-là non seulement d’une mesure d’égalité de traitement qui rompt une discrimination à la nationalité, mais également une mesure d’équilibre“, justifie la Direction de la Sécurité sociale (DSS) dans sa réponse à la question d’Annie Michel. Rappelant que “l’assuré cotise et bénéficie en contrepartie de prestation de santé“, elle conclut qu'”un pensionné ne résidant pas en France qui aurait cotisé un seul trimestre en France pendant toute sa carrière ne peut prétendre à la prise en charge de ses frais de santé lors de ses séjours en France“.
Elle précise aussi que “très peu” de Français sont concernés. “Le dernier rapport de la DREES sur les retraites indique que les retraités de la génération 1926 résidant à l’étranger valident en moyenne 79 trimestres, soit 19,75 années ; pour la génération 1946, ils valident en moyenne 113 trimestres, soit 28,25 années“.
L’équipe du député des Français d’Amérique du Nord Roland Lescure pointe aussi le fait que cette mesure ne concernera qu’un petit nombre de personnes, même si elle reconnait avoir été “interpellée” par le passage de 3 mois à 15 ans de cotisation. “Une solution médiane aurait été mieux, indique Christopher Weissberg, conseiller politique auprès de Roland Lescure, qui précise que des aménagements seront proposés dans le cadre de la prochaine loi de financement de la sécurité sociale. Il souligne cependant qu’“un trimestre n’était pas forcément la meilleure des options” et que bénéficier d’une “protection sociale à vie” en ayant cotisé seulement trois mois en France et vécu le reste de sa vie à l’étranger n’est “pas justifié“. “Le système est lié à l’activité”, rappelle-t-il.
“C’est dégueulasse”, lâche le sénateur des Français hors de France Damien Regnard à propos de la mesure. L’ancien conseiller consulaire de La Nouvelle-Orléans s’est abstenu de voter le projet de loi de financement en raison des disposition relatives à la CSG-CRDS. “On ne bénéficie déjà pas de la suppression des taxes sur les revenus fonciers. Il existait encore pour nos retraités la possibilité de revenir se faire soigner en France. Ils se disaient que c’était acquis. Pour moi, c’est une attaque supplémentaire sur des gens qui ne sont pas forcément privilégiés“.