Pourquoi y aller ? On dit qu’il est «trop loin», «dangereux». Bref, sans intérêt. Washington Heights fait partie de ces quartiers qui ont mauvaise réputation.
Eh bien, c’est l’heure de mettre les préjugés de côté. Ceux qui habitent Washington Heights depuis longtemps l’affirment: depuis quelques années, le quartier connaît une renaissance. Suivez le guide.
Culture
Sur le plan touristique, les Cloîtres («The Cloisters») sont, sans conteste, l’attraction la plus connue du quartier. Ces cloîtres reconvertis en musée constituent l’antenne du Met consacrée à l’art médiéval. Sur la 155ème rue et Broadway, le visiteur passe devant un imposant bâtiment, celui de la “Hispanic Society of America“, un musée et centre de recherches qui fait autorité dans le monde de l’art latino-américain, espagnol et portugais. Raison de plus pour y aller: il est gratuit. De l’autre côté de la 155ème, se trouve “Trinity Church Cemetery”. Ce cimetière peu connu abrite pourtant quelques figures marquantes de l’histoire de New York, notamment l’homme d’affaires John Jacob Astor IV, qui trouva la mort dans le naufrage du Titanic. On y trouve aussi un ancien maire de New York, l’inventeur du poster de cirque et l’un des fils de Charles Dickens, décédé d’une crise cardiaque alors qu’il s’apprêtait à donner une conférence sur l’œuvre de son père. Eric Washington, guide et journaliste, fait revivre ces morts illustres à travers ses visites guidées du cimetière. Et il parle français!
Plus vieux manoir de Manhattan
Autre lieu d’exception: la « Morris Jumel Mansion », le manoir le plus ancien de Manhattan. Ce petit trésor bien caché, datant de 1765, se trouve au cœur du district historique Jumel Terrace. Pour y accéder, se rendre à la 161ème et Amsterdam Avenue. Gravir les marches de pierre qui s’offrent à vous. Et se laisser surprendre par le spectacle: une rue pavée, silencieuse, bordée de deux rangées de maisons en bois de deux étages, à mille lieues du tumulte de la ville. Il s’agit de Sylvan Row, une artère qui servait autrefois d’accès au manoir pour les calèches. Au bout de cette allée irréelle, le manoir en question ne tarde pas à s’imposer. Cette bâtisse blanche, qui rappelle la Maison Blanche, était le quartier général de George Washington lorsqu’il livra la bataille de Harlem Heights en 1776 contre les Anglais. Au début du 19ème siècle, elle fut la propriété d’un marchand de vins français, Stephen Jumel, et de sa femme Eliza. Cette dernière n’était pas bien vue au sein de la high society new-yorkaise car elle était connue pour son passé de prostituée, petit secret qu’elle avait pris soin de ne pas révéler à son riche mari. Cela n’a pas empêché la Madame des lieux d’organiser de somptueuses soirées mondaines où l’on aimait se montrer. Pour en savoir plus sur l’histoire du manoir, se rendre chez Kurt Thometz, un spécialiste de l’histoire locale, dont la libraire “Kurt Thometz’s Jumel Terrace Books” (426 West 160th Street), se trouve juste à côté.
Jazz en appartement
C’est justement dans cette partie-là du quartier, à l’est de Broadway sous la 168ème rue, que vécurent plusieurs jazzistes de renom. Citons notamment Duke Ellington, dont l’appartement au coin de la 157ème rue et St Nicholas, est toujours visible. Le quartier comptait plusieurs clubs de jazz, mais ils ont tous fermé. Dernier en date : le légendaire “St Nick’s Club”. En attendant une probable réouverture, les amateurs peuvent se rendre chaque dimanche après-midi aux célèbres concerts de jazz de Marjorie Eliot, dans son appartement au 555 Edgecombe Avenue, Apt 3F. Depuis 1996, ces concerts gratuits (mais les dons sont appréciés) organisés en hommage au fils de Marjorie attirent les pontes de la discipline. Du talent à l’état pur, dans un salon… Pas de réservation nécessaire.
Parcs
Pour trouver les parcs les plus beaux, se rendre dans le nord du quartier, dans l’enclave de Hudson Heights. Impossible de rester insensible au charme des allées sinueuses, jardins, et vues spectaculaires sur la rivière Hudson qu’offre Fort Tryon Park, le parc situé autour des Cloîtres. Parfait pour les balades romantiques. Plus au sud, Bennett Park est le parc le plus élevé de Manhattan. S’y rendre pour se vanter, lors de dîners en ville, d’avoir gravi le sommet de l’île ! Plus difficile d’accès, Fort Washington Park, le long de la Hudson River. Il faut souvent demander aux locaux le chemin pour y parvenir tant il est mal indiqué. Mais le jeu en vaut la chandelle. En effet, ce point de verdure se trouve au pied du Pont George Washington, qui relie Manhattan au New Jersey. On y trouve notamment des tables pour pique-niquer et un petit phare rouge, le dernier de l’île, en dessous du pont. Le « Little Red Lighthouse » est la mascotte du quartier. Il n’est cependant pas possible de le visiter.
Manger, boire
Les restaurants / bars ne sont pas le point fort du quartier. Cependant, l’offre s’étoffe progressivement. Pour les afficionados du pub irlandais, le seul qui se respecte s’appelle « Coogan’s » (168ème rue et Broadway). Les murs du lieu sont tapissés des photos de ses illustres clients, dont l’ancien président Bill Clinton. « Columbia Social » juste à coté n’est pas mauvais, mais reste cher pour la qualité de la nourriture et les portions servies. Eviter à tout prix « Reme », un diner situé sur la 169ème et Broadway. En revanche, nous adorons « Coral », un diner familial sans prétention au coin de Broadway et de la 158ème rue, pour son atmosphère cosy et ses plats satisfaisants, et « Margot Restaurant », un minuscule restaurant dominicain sur la 159ème et Broadway qui met tout le monde d’accord depuis trente ans.
Plus au nord, plusieurs options existent, notamment sur la 181ème et la 187ème rue, à l’ouest de Broadway. Sur la première, les locaux disent le plus grand bien du restaurant italien « Saggio » et du nouveau-venu irlandais « Le Chéile ». Sur la seconde, « Bleu evolution », un pseudo-francais dont les plats sont mieux inspirés que le décor, et « Gideon’s Bakery », une boulangerie familiale tenue par des juifs allemands depuis plus de cinquante ans, méritent de s’y arrêter.
Crédit: Sylvan Terrace (2000), Kimberley S. Johnson