“Dépités“, “dégoûtés”, “choqués“. Derrière les 18.000 dossiers d’immigration que le gouvernement québécois a choisi d’annuler, ce sont 50.000 personnes qui pourraient voir leur vie basculer. Du moins, jusqu’à l’adoption concrète du projet de loi. Parmi elles, des Français·es qui estiment avoir été pris au piège dans ce “parcours du combattant“.
“Le Ministère vous informe, qu’en raison du dépôt à l’Assemblée nationale du projet de Loi visant à accroître la prospérité socio-économique du Québec et à répondre adéquatement aux besoins du marché du travail par une intégration réussie des personnes immigrantes, il cesse de rendre des décisions dans le cadre du Programme régulier de travailleurs qualifiés, et ce, jusqu’à ce que les travaux parlementaires soient terminés“. C’est le début du courriel envoyé par Mon Projet Québec qu’ont reçu les milliers de candidats à l’immigration ce jeudi 7 février en début de soirée. La date de fin des travaux parlementaires ? Encore inconnue à ce jour. Une attente insoutenable pour des milliers de candidats suspendus aux faits et gestes du gouvernement québécois.
“Étant donné qu’il s’agit d’un projet de loi à l’étude devant l’Assemblée nationale, le Ministère n’est pas en mesure de vous fournir plus d’information pour le moment. À ce stade-ci, aucune action n’est requise de votre part. Si la loi est adoptée et sanctionnée, nous communiquerons avec vous pour vous donner les renseignements et les consignes qui s’appliqueront à votre situation“, précise encore le courriel qui invite les intéressés à se créer un compte dans Arrima pour déposer gratuitement et en tout temps une déclaration d’intérêt.
“Je ne vais pas passer ma vie à déménager entre la France et le Québec”
Emmanuelle Robidou, une Française du quartier de Rosemont à Montréal, fait partie des personnes concernées. “On est dépités. Avec ma famille, nous sommes en attente de transfert du Certificat de sélection du Québec (CSQ) vers le Programme de l’expérience québécoise (PEQ) depuis mi-décembre et on ne reçoit aucune nouvelle. Il n’y a pas de logique dans le traitement des demandes (…)”, rapporte cette gérante de boutique qui juge le projet de loi 9 inacceptable. “On a tous un travail, une vie et on nous traite comme des numéros ou des fantômes”, raconte la mère de famille qui a l’impression d’être prise au piège par un système défaillant et d’en être tributaire.
“Est-ce que tout est suspendu ou pas ? On ne sait pas, personne ne nous répond. Sans compter que si je dois recommencer à 0, tous mes documents sont maintenant périmés y compris mes tests de français que j’ai payés 300€”, explique Emmanuelle Robidou dont le visa se termine le 30 avril 2019. Pour l’heure, elle prévoit de laisser passer le week-end et de rappeler une énième fois le MIDI la semaine prochaine pour tenter d’obtenir des réponses. “Si cela n’avance pas, on abandonnera et on rentrera en France, on n’a pas le choix. (…) On ne veut pas se retrouver encore sous un statut précaire, ça suffit ! Je ne vais pas passer ma vie à déménager entre la France et le Québec”, lance celle qui aimerait que le gouvernement prenne ses responsabilités en traitant les dossiers déjà déposés.
Même son de cloche pour Virginie De Martin, une Française installée au Québec avec sa famille depuis 2 ans, qui avait fait une demande de Certificat de sélection du Québec (CSQ) régulier en août 2017. “On tombe des nues, tout s’écroule. En janvier, nous avions fait une demande de transfert vers le Programme de l’expérience québécoise (PEQ) qui avait bien été prise en compte. Mais depuis hier soir, ils ont tout gelé et nos visas touchent à leur fin. On devait faire une demande de permis fermé post CSQ… Mais maintenant, on fait quoi ?”, s’interroge la propriétaire d’une maison à Mirabel qui refuse de croire qu’elle devrait tout recommencer à 0.
“C’est inadmissible de laisser des personnes sur le carreau après deux ans de procédure”, déplore Virginie De Martin qui estime que certains avocats et agents d’immigration n’en savent pas plus qu’elle. “On est bien intégrés, on travaille, on a acheté une maison et on a trois enfants scolarisés qui ne veulent pas rentrer en France. Alors non, on ne va pas arrêter notre processus. On ne demande rien d’exceptionnel, si ce n’est que nos dossiers soient étudiés !”, lance celle qui a aussi l’impression d’avoir été piégée par la politique contradictoire du gouvernement québécois. “J’ai même passé des tests de français pour prouver mon niveau ! Ce qui est déjà aberrant. Bref, on remplit tous les critères mais ce n’est pas assez ? Ce n’est pas logique”.
De l’espoir et des envies d’ailleurs
Pour certain·es, c’est un peu d’espoir qui se profile à l’horizon, malgré tout. “L’annonce du projet de loi m’a presque démolie”, nous a avoué Sophie Chene. “Avec mon mari, nous sommes boulangers et pâtissiers en attente de notre CSQ. On a reçu le mail envoyé par Mon Projet Québec hier soir : en le lisant, j’ai tout de même encore un peu d’espoir car la loi n’est pas encore adoptée”, raconte la jeune femme optimiste.
Sauf que, comme l’a évoqué Dominique Anglade en conférence de presse, “les demandes de ces 18.000 dossiers ne seront plus traitées avant même que ce projet de loi soit adopté et cela constitue un problème majeur“. Une zone de flou persiste donc.
Pour Aneska Roche-Pilot (NDLR : le nom a été modifié), une Française installée au Québec, les conséquences de ce projet de loi sont “désastreuses“. “Cela fait déjà deux fois que je suis contrainte de revenir en France après un PVT et si la loi passe, ce sera pour de bon”, nous a confié la jeune femme qui n’en peut plus. “Je ne serai pas en mesure de présenter une nouvelle demande de CSQ car selon les nouvelles conditions de demande régulière, il faut exercer dans son domaine d’études. Après des études juridiques, je me suis réorientée en ressources humaines (…). Le MIDI ne reconnaissant aucun titre professionnel, même reconnu par l’Etat français, et n’étant plus en mesure d’exercer dans le droit, je ne pourrai donc pas justifier du fait d’exercer dans un domaine d’études reconnu”, rapporte la jeune femme qui dit avoir “survécu” jusqu’ici. “Là je dois vivre avec la contrainte de devoir faire ma vie dans un pays (…) où mes possibilités d’emploi sont minables (…)”.