Ils ont beau être considérés comme les « représentants de la France et de ses valeurs » (Emmanuel Macron) et les « ambassadeurs du savoir-faire français » (Valérie Pecresse), être admirés pour leur « maîtrise de plusieurs langues » (Anne Hidalgo) et leur « soif de découvertes et d’aventures » (Eric Zemmour) ou encore occuper « une place particulière » (Dupont-Aignan), « témoins des effets du changement climatique » (Yannick Jadot), les Français de l’étranger se sentent les oubliés de cette campagne présidentielle. L’Omicron en début d’année et la guerre en Ukraine ont certes limité les déplacements des candidats en Amérique du Nord et bouleversé leurs priorités, il n’empêche : peu d’entre-eux ont pris le temps, jusqu’à présent, d’aller à la rencontre de ces Français du monde, au moins virtuellement. Le président sortant leur a adressé ce week-end une vidéo de 6 min 40, Valérie Pécresse leur a consacré un zoom d’une heure, Eric Zemmour une vidéo de 3 min 36.
Ils sont pourtant près d’1,5 million à être inscrits sur les listes électorales cette année dans le monde et représentent 3% de l’électorat français. Plus de 8 sur 10 d’entre-eux comptent aller voter à la présidentielle (les samedis 9 et 23 avril en Amérique du Nord), selon le dernier baromètre de L’Observatoire de l’expatriation Banque Transatlantique, avec le partenariat de l’Union des Français de l’étranger (UFE) et OpinionWay.
Revue des principales propositions faites aux Français de l’étranger, avec les porte-parole ou les conseillers des candidats qui ont donné suite à nos demandes d’interview. À noter que Fabien Roussel (Parti communiste), Nathalie Arthaud (Lutte ouvrière) et Philippe Poutou (Nouveau Parti Anticapitaliste) ne proposent, dans leur programme, aucune mesure spécifique aux Français de l’étranger et leur campagne respective n’ont pas répondu à nos demandes d’interview.
Les candidats sont tous d’accord : c’est un sujet prioritaire mais il faut en baisser le coût pour les familles. Pragmatiques, les candidats ne parlent plus de gratuité de la scolarisation – promesses de campagnes passées jamais tenues – seul Jean-Luc Mélenchon (LFI) vise « la gratuité universelle », CNED compris, mais de façon graduelle. Le candidat de La France Insoumise dénonce le manque de mixité sociale au sein des écoles induit par « une vaste privatisation du système de l’enseignement en français », estime Jean-François Deluchey, conseiller LFI des Français de l’étranger au Brésil. Embaucher des professeurs de l’État plutôt que des contrats locaux, est la priorité. « C’est illusoire de penser qu’on va résoudre le problème en augmentant le budget des bourses, indéfiniment, sans changer le système », assure Florence Poznanski, membre de la campagne de LFI.
Augmenter le budget des bourses, c’est pourtant ce que proposent la plupart des candidats comme Marine Le Pen (RN) qui veut également revoir l’attribution des bourses – sans remettre en cause la prise en compte des revenus et du patrimoine dans leur attribution. « Il faut surtout renforcer les budgets pour augmenter le nombre de bourses, voire les conditionner au mérite » estime Eric Miné, conseiller RN des Français de l’étranger.
Pour Yannick Jadot (EELV), la priorité est de renforcer les budgets dans l’éducation, « car ils conditionnent tout », précise Mélanie Vogel. La sénatrice écologiste des Français hors de France parle de modifier les barèmes d’attribution des bourses qui désavantage, selon elle, les familles monoparentales et d’introduire de la flexibilité dans la façon de compter les revenus « quand il y a eu une grosse perte de revenus dans l’année de la rentrée de scolarité, comme on l’a vu avec la Covid » et non retenir que les revenus de l’année précédente.
Emmanuel Macron (LREM) promet dans son programme de relever le plafond du quotient familial pour l’attribution des bourses de l’AEFE (rappelant dans son programme qu’il était de 21 000 euros en 2018 et de 23 000 en 2019). Quotient qu’Eric Zemmour veut, lui, doubler.
Anne Hidalgo (PS) compte redonner des moyens aux écoles françaises et surtout embaucher plus d’enseignants. Pour l’attribution des bourses, la candidate socialiste veut les rendre plus accessibles, notamment aux classes moyennes, et que leur attribution ne tienne pas compte des revenus issus du patrimoine.
Valérie Pécresse (LR) envisage, elle, de supprimer le conditionnement à la propriété d’un bien immobilier. « Ce n’est pas parce qu’on possède un bien qu’on a des revenus élevés » rappelle Ronan le Gleut, sénateur des Français établis hors de France. « C’est le syndrome des pêcheurs de l’île de Ré. Ils ont des revenus annuels peu élevés mais habitent des maisons qui ont pris beaucoup de valeur. Cela pousse les expatriés à vendre leur bien immobilier pour pouvoir obtenir une bourse afin de scolariser en français leur enfants », déplore l’élu, qui prévoit que seuls les revenus soient pris en compte.
Valérie Pécresse est également favorable aux tarifs différenciés (moins élevés pour les Français que pour les étrangers), tout comme Marine Le Pen, Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France) qui veut ainsi « augmenter le nombre de bénéficiaires de bourse parmi les enfants français ». Ou encore Eric Zemmour : « que les Américains aient la possibilité de mettre leurs enfants dans une école française, ça se comprend, mais il faut que les Français soient prioritaires et à un tarif préférentiel » estime le député européen Nicolas Bay et porte-parole du candidat de Reconquête! Jérome Rivière, autre porte-parole d’Eric Zemmour, a évoqué dans les médias une attribution des bourses au mérite, mais « ça ne fait pas partie du programme », précise Nicolas Bay.
L’harmonisation fiscale est une thème commun à bon nombre de candidat avec, en première ligne, la CSG-CRDS : Emmanuel Macron propose de « réexaminer » le régime mis en place en 2013 sur l’assujettissement des Français de l’étranger à la CSG et la CRDS sur leurs revenus du capital. Il promet de l’exonérer sur les revenus du capital mais seulement pour les Français qui habitent un autre pays de l’Union européenne ou encore la Suisse – pour des raisons d’accords bilatéraux. Même engagement d’Eric Zemmour alors que Valérie Pecresse, Nicolas Dupont-Aignan et Jean Lasalle (Résistons) promettent de supprimer la CSG et la CRDS pour tous les expatriés. « La France n’a pas à s’ingérer dans la fiscalité des Français qui vivent à l’étranger » estime Emmanuel Itier, conseiller Résistons des Français de l’étranger et candidat à la législative.
Jean-Luc Mélenchon compte plutôt instaurer un impôt universel sur les 10% de Français qui reçoivent de « hauts revenus » précise Jean-François Deluchey, conscient que cette mesure est largement critiquée par les Français de l’étranger « alors qu’elle touchera avant tout les entreprises françaises à l’étranger ». Jean Lasalle réfléchit à améliorer les retraites, éventuellement par les retraites complémentaires.
Yannick Jadot plaide pour un prélèvement à la source de tous les revenus de sources françaises, mais veut aussi à taxer les entreprises.
Dans sa vidéo, Emmanuel Macron promet aux Français de l’étranger propriétaire d’une résidence en France que cette dernière « bénéficiera de certains des avantages fiscaux des résidences principales. » Pas de détails sur cette annonce fiscale qui semblerait s’appliquer uniquement en cas d’un retour d’urgence, dans le cadre du statut de « repli en France » (voir plus bas, aides aux Français de l’étranger).
Valérie Pécresse veut créer un statut de « résidence d’attache » pour introduire une fiscalité moins lourde sur ce bien immobilier dans l’Hexagone, un 3e statut fiscal entre la résidence principale et celui de résidence secondaire. « Le terme “d’attache” est celui utilisé au Quai d’Orsay pour parler des communes d’attache », explique Ronan Le Gleut. Dans son programme, Valérie Pécresse prévoit « la création d’un droit au crédit pour acquérir un bien immobilier en France ».
Pour Eric Zemmour, c’est une piste de réflexion mais « seulement si l’expatrié n’est pas propriétaire d’un autre bien dans le pays où il réside », précise Nicolas Bay.
Au Rassemblement national, Eric Miné estime que « la résidence en France doit être associée à la résidence principale et en avoir les mêmes avantages fiscaux. » Marine Le Pen promet de « supprimer les impôts sur l’héritage direct pour les familles modestes et les classes moyennes », ce dont pourraient bénéficier les expatriés.
Emmanuel Macron promet de supprimer « systématiquement le délai de carence pour bénéficier de la prise en charge de l’assurance maladie (…) en cas de crise », précise-t-il dans sa vidéo.
Un délai de carence que plusieurs candidats veulent supprimer définitivement – Valérie Pécresse, Eric Zemmour ou encore Jean-Luc Mélanchon veulent intégrer la Caisse des Français de l’étranger dans la sécurité sociale et élargir l’accès à la protection universelle maladie (qui remplacera la CMU) aux Français de l’étranger. Suppression permanente également pour Marine Le Pen. « C’est injuste, estime Eric Miné, les Français de l’étranger ont moins de droit qu’un clandestin qui touche l’Aide médicale d’État (AME) ».
Yannick Jadot propose une couverture universelle pour les Français de l’étranger les plus démunis, « qui ne peuvent pas bénéficier d’une couverture santé par la Caisse des Français de l’étranger, sur le modèle de la CMU ».
EELV veut changer le mode de calcul du salaire annuel moyen : « au lieu de prendre en compte les 25 meilleures années (65% des annuités qu’on est censé avoir travaillé en France ) qu’on prenne plutôt le 65% des meilleures années travaillées en France « car les années travaillées en France sont souvent les plus mauvaises – stages, début de carrière.. » estime Mélanie Vogel qui, comme d’autres candidats, veut supprimer l’obligation d’avoir cotisé 15 ans. Une révision du mode de calcul des retraites proposée également par les Insoumis, qui propose un minimum vieillesse qui sera appliqué aux Français de l’Étranger.
Jean Lassalle réfléchit à améliorer les retraites des Français établis hors de France, « peut-être par le biais des retraites complémentaires », estime Emmanuel Itier.
Mais outre le mode de calculs de la retraite, notamment des années travaillées en France souvent les moins bonnes car début de carrière, les candidats semblent conscients du casse-tête administratif que représente l’obtention du certificat de vie.
Pour Les Républicains, il est urgent de remettre les consulats dans la boucle. Avant de stopper le versement des pensions, la caisse de retraite doit pouvoir s’adresser au Consulat pour qu’il recherche la preuve d’existence de la personne. Que les certificats de vie soit obtenu auprès du Consulat avant de stopper les versement. Laisser le choix de se tourner vers son consulat plutôt que la municipalité de la ville de résidence.
Les Insoumis parlent d’une certificat de vie par visioconférence en instaurant également des guichets régionaux des caisses de retraite partout dans le monde. Face aux critiques sur les questions de sécurité numérique, Jean-François Deluchey dit « préférer qu’un ou deux cas passent au travers du filtre de sécurité » si, en contrepartie, plus aucun retraité ne reçoit sa retraite en retard. « C’est le prix à payer, c’est un choix de société », précise le conseiller au Brésil.
Reconquête! souhaite simplifier le versement en rendant automatique la transmission du certificat de vie. Mais cette mesure n’est envisagée que pour les Français de l’Union européenne, plus difficile à mettre en place pour le moment ailleurs.
Emmanuel Macron, qui se dit « conscient qu’une simplification des démarche est très attendue », veut « généraliser la dématérialisation du renouvellement des titres d’identité, du dépôt de procuration et de l’établissement des certificats de vie partout où cela est possible ». Une dématérialisation qui pose le problème de l’identité numérique, souligne Eric Miné du RN, pour qui, « dans tous les cas, les consulats doivent rester maîtres de ces démarches administratives ». Nicolas Dupont-Aignan est le seul candidat qui parle de supprimer le certificat de vie, comme d’autres démarches administratives, mais semble l’inscrire dans le cadre d’un plus grand nombre de « services accessibles par Internet ».
Dans son programme, Emmanuel Macron évoque également la mise en place d’un « répertoire de gestion des carrière unique (RGCU), un outil “inter-régimes ayant vocation à rassembler l’ensemble des données relatives à la carrière de chaque assuré social » pour faciliter le calcul de la pension de retraite.
Valérie Pecresse veut créer un « fonds de soutien », Nicolas Dupont Aignan un « dispositif permanent d’aide aux victimes piloté par la direction des Français de l’étranger et de l’administration consulaire ». EELV un « fonds de solidarité »
Emmanuel Macron prévoit « un grand plan de secours », 20 millions d’euros consacrés l’urgence médicale avec la mise à disposition d’un avion de rapatriement sanitaire vers la France. Il annonce la création d’un « statut de résidence de repli en France » pour permettre aux Français de l’étranger de revenir au pays à tout moment.
Au Rassemblement national, « l’urgence c’est d’aider les petites entreprises détenues par des Français à l’étranger ou qui participent au rayonnement français » précise Eric Miné.
Les Ecologistes veulent eux pérenniser les aides versées jusque’à présent qu’en cas d’urgence, un sytème qui serait financé par les recette fiscales « vertes » de l’Etat et adapté au niveau de vie du lieu de résidence, sous conditions de ressources.
Yannick Jadot vise également à lutter contre la pauvreté des jeunes avec la mise en place d’un revenu versé automatiquement « pour que personne ne vive avec moins 920 euros/mois, sans contrepartie », y compris à l’étranger, précise Mélanie Vogel. Avec une sécurité sociale universelle
Comme à toutes les élections, c’est la priorité des candidats qui promettent plus de moyens. Les adversaires du président sortant parlent tous de dégradation de ces services ces cinq dernières année, « à l’image des services publics en général » selon Eric Zemmour, Marine Le Pen ou encore Anne Hidalgo. Valérie Pécresse veut multiplier le nombre de consuls honoraires de nationalité française, Jean-Luc Mélenchon veut rétablir ces services en augmentant le nombre d’agents en charge de l’accueil.
Jean-Luc Mélenchon veut créer un guichet unique « Citoyenneté, Protection Sociale et Retraite » pour tous ceux qui habitent à l’étranger. Emmanuel Macron s’engage à fonder un nouveau service, France Service Français de l’étranger, « qui devrait permettre de joindre l’ensemble des services publics 7j/7, 24h/24 ». Dans son programme, le président sortant promet 5 milliards d’euros pour « moderniser l’administration et pour la dématérialisation des démarches. »
Eric Zemmour pense plutôt au retour en France et compte créer « un guichet unique » au sein d’un ministère chargé de regrouper toutes les démarches administratives au même endroit.
Là encore, tous les candidats promettent d’agir pour une meilleure représentation des Français de l’étranger. Jean-Luc Mélenchon parle d’une assemblée pas uniquement consultative pour que les Français de l’étranger « décident de leur destin » dans le cadre de son projet de 6e République.
Yannick Jadot veut voir évoluer l’Assemblée des Français de l’étranger en un « Conseil régional des Français de l’étranger » muni d’un budget autonome.
Emmanuel Macron souhaite redéfinir le rôle des élus consulaires « en leur donnant plus de prérogatives » et compte dresser un bilan général du système en place » – AFE et élus consulaires.
Article rédigé avec Leïla Lamnaouer.