Rester ou rentrer en France pour Noël ? La question agite les foyers franco-américains depuis des semaines -et les groupes Facebook… Le confinement en France et le “travel ban” américain qui interdit l’entrée sur le territoire américain à toute personne étrangère ayant séjourné en Europe (espace Schengen plus UK et Irlande) pendant les 14 jours précédents, et bien que certaines règles aient été assouplies, en ont fait renoncer beaucoup. Pour d’autres, la perspective d’un réveillon sur Zoom est simplement impensable.
“Intérêt national”
“Mon entreprise vient juste d’interdire la possibilité de travailler de l’étranger, c’est une option que j’aurais pu prendre cet été mais ce n’est plus possible”, explique Luc*, qui travaille dans la finance à New York. “Si je veux rentrer deux semaines en France pour les vacances et que je n’obtiens pas la “NIE” à temps, je suis coincé, difficile de prendre le risque”, poursuit-il l’air perplexe. La “NIE”, l’exemption pour « intérêt national », est accordée aux titulaires de visas mais aussi à des personnes en ESTA pouvant justifier d’une raison valable de rentrer sur le territoire américain sans passer par la quatorzaine. Il s’obtient en envoyant un email à [email protected] avec l’objet « CONSIDERATION FOR NATIONAL INTEREST EXCEPTION – [nom de famille] » en joignant les informations suivantes : date de naissance, numéro de passeport, raison et dates du voyage. Le délai de réponse indiqué est de trois jours mais rien n’oblige légalement l’ambassade à respecter ce calendrier.
Emmanuel, 34 ans, travaille pour un fond d’investissement américain à New York et possède depuis récemment la carte verte, un précieux sésame pour traverser l’Atlantique sereinement. Il compte passer la fin d’année en France. “Je compte rester plusieurs semaines et travailler depuis la France tout en rendant visite à ma famille”. Sûr de lui au moment de notre question, il revient ensuite sur sa première idée. “C’est vrai que le reconfinement en France va peut-être durer jusqu’à Noël… Rentrer pour être confiné, je ne suis pas sûr que cela soit une bonne idée, avec en plus le risque de se contaminer“. Lorsqu’on lui demande comment il a planifié ses derniers voyages, Emmanuel répond: “j’ai pris ma décision au dernier moment”, en gardant toujours un oeil sur les dernières restrictions de l’Etat de New York. Les voyageurs internationaux doivent en effet toujours se soumettre à un protocole stricte pour pouvoir rentrer dans l’Etat de New York, dans l’ordre, obtenir un test négatif dans les trois jours précédant l’arrivée a New York, se mettre en quarantaine trois jours une fois arrivée, puis obtenir un nouveau test négatif le quatrième jour.
Pour les Français en contrat V.I.E comme Eva Gochtovtt, employée dans une entreprise de prêt à porter, le retour en France pour Noël semble impossible. “Nous avons reçu une communication de Business France, l’organisme en charge des contrats V.I.E, rappelant les conditions strictes de déplacement“, explique-t-elle. Les V.I.E doivent déclarer tous leurs déplacements hors du pays, une règle valable avant la pandémie. “Mon visa ne m’empêche pas de rentrer en France“, detaille Eva. “Mais c’est le retour aux Etats-Unis qui pose problème. Ce n’est possible que pour les cas exceptionnels“. La “NIE” n’est en effet pas disponible pour les V.I.E. L’entreprise d’accueil du candidat doit faire une demande exceptionnelle et obtenir un accord du Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères. La jeune française sourit face à sa situation. “Je n’essaierai pas, c’est mission impossible. J’attendrai la fin de mon contrat en 2021 pour rentrer“.
Colère de certains professeurs sous visa J-1
Le pessimisme peut laisser place à la colère. Dans les établissements de l’AFE (Assemblée des Français de l’étranger), le mot d’ordre est de ne pas voyager en Europe, sous peine d’y rester bloqué. Une recommandation énoncée par l’Ambassade française, et répétée par les chefs d’établissements, qui sonne chez certains professeurs comme une “menace voilée”. “Nous avons reçu une lettre dans laquelle l’Ambassade nous explique qu’un départ pendant les vacances de Noël en France nous expose à une rupture de contrat ou une rupture de notre détachement (de l’Education nationale)”, déplore Annie*, une professeur de Los Angeles. “Je ne vois pas de problème à partir car nos cours ne sont toujours pas donnés en présentiel (dans le comté de Los Angeles), et que nous pourrions les animer de France”, ajoute-t-elle. Face à cette attitude, Annie a décidé d’apposer sa signature à une pétition, initiée par des professeurs de l’établissement Rochambeau à Washington. “Nos lettres individuelles sont restées lettre morte”, ajoute-t-elle.
Recueillant déjà une soixantaine de signatures à travers le pays, cette missive s’adresse à l’Ambassadeur de France à Washington. Elle demande que les enseignants des écoles françaises sur le sol américain, titulaires d’un visa J1, obtiennent automatiquement le “NIE”, qui leur permettrait de pouvoir rentrer sur le territoire américain après avoir séjourné en France pendant les fêtes. En juillet, une dérogation avait permis aux écoles de recruter des nouveaux professeurs en J1, malgré le “travel ban”, qui avaient pu rejoindre les Etats-Unis sans passer par une quatorzaine à l’étranger. “Les établissements avaient fait pression auprès des ambassades pour que le travail de ses nouveaux enseignants soit considéré comme essentiel, pourquoi le nôtre ne le serait pas ?”, questionne-t-elle. “La situation est très pesante, beaucoup d’entre nous sont seuls ici ou avec des enfants en France”.
Noël en France, janvier au Mexique
Reste la possibilité de passer une quatorzaine début janvier dans un pays non concerné par le “travel ban” avant de rentrer aux Etats-Unis, une option qu’avait prise Paul Bernier pour rentrer en France au début de la pandémie. “Apres être retourné plusieurs semaines en France, j’ai passé deux semaines dans les Antilles“, explique ce jeune entrepreneur de 27 ans. “Je ne compte pas reproduire le même trajet pour Noël, j‘ai besoin d’être ici pour relancer les affaires et il y a trop d’incertitudes en cette fin d’année. Je préfère attendre le début d’année prochaine“. Annie, elle, le concède, ses collègues étudient toutes les options sur la table pour passer Noël en France, parmi lesquelles passer 14 jours au Mexique en Janvier.
A noter pour finir que des restrictions existent également à l’arrivée en France, répertoriées sur ce lien par le Consulat de France à New York. La vérité d’aujourd’hui n’est pas non plus celle de demain. L’évolution de l’épidémie en Europe et aux Etats-Unis, la course au vaccin, autant de paramètres qui pourraient influencer les conditions de voyages lors des prochaines semaines. Face à ces incertitudes, Luc résume le sentiment de beaucoup de ses compatriotes. “On a appris à vivre avec ce point d’interrogation, mais ça reste difficile d’imaginer être loin de notre famille pour les fêtes, et ne pas pouvoir rentrer facilement si un coup dur intervient”.<
*Certains prénoms ont été changés à la demande des personnes interviewées
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