Si vous avez un billet d’avion et que votre vol a été annulé en raison de la crise du coronavirus, la loi, aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis, vous garantit en principe le remboursement. Dans la pratique, c’est autre chose…
Des deux côtés de l’Atlantique, les compagnies aériennes font de la résistance et offrent des “vouchers” (avoirs) équivalents à la valeur du billet initial, plutôt qu’un remboursement. Soit clairement, soit en rendant les procédures de remboursement extrêmement compliquées, elles rendent le remboursement difficile voire impossible à obtenir. Dans le meilleur des cas certaines, comme Air France, offrent un avoir qui pourra devenir remboursable s’il n’est pas utilisé à son expiration, en décembre 2020. Pourtant, aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe, la réglementation est claire: un vol annulé, quelle que soit la raison de cette annulation, doit être remboursé. Les compagnies peuvent offrir le choix entre un avoir et le remboursement, mais c’est au client que revient la décision finale.
Les compagnies aériennes ne contestent pas qu’en refusant le remboursement, elles enfreignent la loi. “Mais c’est une question de survie pour les compagnies” a expliqué lors d’une conférence de presse Alexandre de Juniac, directeur général de l’IATA (Association internationale du transport aérien). Selon un calcul des transporteurs, le montant des billets annulés “remboursables” s’élèverait à 38 milliards de dollars dans le monde. C’est beaucoup plus que ce que leur trésorerie déjà exsangue peut supporter. L’IATA prévoit que la crise va occasionner plus de 252 milliards de pertes pour les compagnies à l’échelle mondiale.
Au-delà de l’incapacité de compagnies exsangues à payer aujourd’hui, l’enjeu est aussi celui de l’après-crise. “Même lorsque le trafic reprendra, ça ne se fera pas du jour au lendemain; les compagnies devront voler avec des avions plus ou moins pleins, donc à perte. Pour tenir lors de cette reprise, il faudra avoir les reins solides, donc du cash” explique un cadre d’une compagnie française.
25 milliards de dollars d’aide
Face à cette résistance des compagnies aériennes, les réactions sont différentes des deux côtés de l’Atlantique. Aux Etats-Unis, contre toute attente, c’est plutôt la défense des consommateurs qui prévaut. Vendredi 3 avril, le Département du transport (DOT) a publié un rappel à l’ordre qui s’adresse aussi bien aux compagnies américaines qu’étrangères si elles opèrent aux Etats-Unis. Rappelant que “les compagnies ont depuis longtemps procédé aux remboursements y-compris lors des annulations massives, comme par exemple après le 11 septembre 2001”, l’administration demande aux compagnies de rembourser les billets et de ne pas se contenter d’offrir un avoir. Quelques jours plus tôt, neuf sénateurs avaient écrit aux compagnies américaines pour leur rappeler leur obligation, tirant notamment argument du fait que le Congrès “vient de voter une aide exceptionnelle de plus de 25 milliards de dollars au secteur”, et que cet argent public devrait d’abord servir à rembourser les passagers. Les compagnies américaines ont toutes juré de respecter la loi, mais pour inciter les clients à choisir l’avoir plutôt que le remboursement, Delta a annoncé vendredi que les vouchers seraient valables pendant deux ans, jusqu’à mai 2022.
En revanche, en Europe, les autorités semblent se montrer plus favorables aux compagnies aériennes. Si la Commission a rappelé fin mars la loi et l’obligation de rembourser, les Etats ont commencé à accorder des exceptions. La semaine dernière, la France a ainsi suspendu l’obligation de remboursement pour les “voyages à forfait” (c’est à dire incluant vol et nuitées d’hôtel ou tout autres prestation), ainsi que les prestations (hôtels, locations de voiture, etc). Désormais, le voyageur ne peut prétendre qu’à un avoir, valable 18 mois. Si vous n’avez pas “consommé” cet avoir dans les 18 mois, vous aurez alors droit au remboursement, à condition bien sûr que le prestataire soit toujours en activité.
Les vols secs restent exclus de cet assouplissement français, car ils relèvent d’un règlement européen, mais de plus en plus d’Etats font pression sur Bruxelles pour changer cela. Au début de la crise, la Commission européenne avait déjà classé le coronavirus en “force majeure”, supprimant ainsi les indemnités que les compagnies doivent en principe payer aux passagers des vols annulés, en sus du remboursement du coût du billet. (Ces indemnités légales n’existent pas aux Etats-Unis). Pour l’heure, la commissaire européenne aux transport, Adina Valean, se montre inflexible sur l’obligation de remboursement. En faisant le pas de plus que compagnies et Etats membres demandent, la Commission européenne accorderait de fait une aide à un secteur en difficulté, mais le ferait aux dépens des passagers.
Cette obligation de remboursement, des deux côtés de l’Atlantique, ne s’applique qu’aux vols annulés par les compagnies. Si c’est le passager qui décide d’annuler, les règles habituelles s’appliquent: selon le type de billet acheté, les changements ou annulations sont ou non possibles. Cependant, face à la crise, un grand nombre de transporteurs aériens ont décidé de changer ces règles et offrent aux passagers la possibilité de changer leurs vols, sans frais même lorsque le billet initial ne l’était pas.