Qu’on l’appelle « Center City » (Philadelphie) ou le « Loop » (Chicago), toutes les grandes villes américaines ont un downtown, une zone qui concentre traditionnellement les institutions, les commerces et les réseaux de transports. Mais contrairement à ce que laisse penser leur nom, certains ne sont pas dans le sud. Ils ne sont même pas toujours localisés au cœur des municipalités, contrairement à leur équivalent français, le centre-ville.
Le concept de downtown serait né à New York au XIXe siècle. À l’époque, les activités commerciales se déroulaient essentiellement dans le berceau de la ville : la pointe sud de l’île de Manhattan, autour du port. Alors que la Grosse Pomme s’est étendue vers le nord, les habitants se rendaient downtown pour travailler ou se divertir. Le terme s’est progressivement répandu dans tout le pays pour désigner les quartiers commerciaux et portuaires, situés à basse altitude.
Pour Mitchell Schwarzer, professeur émérite au California College of the Arts et auteur de l’ouvrage Hella Town: Oakland’s History of Development and Disruption, il ne faut pas comprendre le downtown américain comme une entité géographique figée et centrale. « Le terme renvoie à l’idée de mouvement », résume-t-il. En effet, contrairement à nos centres-villes, les downtowns ne s’articulent pas autour d’une église ou d’une cathédrale. Comme de multiples dénominations chrétiennes étaient représentées parmi les colons qui ont bâti les États-Unis, il n’y avait pas un édifice religieux unique pour servir de point central aux futurs villes. L’absence de murs pour les contenir et de châteaux ou de palais pour les ancrer a également contribué à rendre les zones urbaines américaines moins centralisées et « beaucoup plus volatiles » que leurs homologues européennes, estime l’expert. Ainsi, certains downtowns se sont déplacés au fil de la construction de nouveaux immeubles et le développement des transports. C’est le cas de Boston, Los Angeles ou San Francisco notamment.
L’avénement du tramway à la fin du XIXe siècle, puis de l’automobile et de l’e-commerce aux XXe et XXIe siècles ont participé à vider ces quartiers de leur substance et à multiplier les points névralgiques au sein des grandes municipalités, qui se sont progressivement étalées. Dans le sillage de la population, les grands magasins les ont quittés pour la banlieue, de même que d’autres services qui autrefois faisaient l’attrait des downtowns, comme les cinémas, les hôtels et les librairies. « Avant le développement des transports, les downtowns avaient différentes fonctions, comme en Europe : ils abritaient des magasins, des lieux d’habitation et de culte, des sites industriels… Mais au cours du XXe siècle, ils sont devenus des endroits exclusivement commerciaux et institutionnels. Le Vieux continent n’a pas connu le même phénomène. Les centres là-bas n’ont jamais perdu leur côté résidentiel », reprend Mitchell Schwarzer.
Selon l’historien de l’urbanisme, la crise sanitaire présente un nouveau défi pour ces quartiers. Avec l’explosion du travail à distance, les tours de bureaux qui ont fait leur identité se sont vidées. Les villes parviendront-elles à les ré-inventer en convertissant les espaces vacants en logements ? Les downtowns n’ont pas fini de se transformer.