Voilà une expression que vous avez sûrement déjà entendue dans un film ou au détour d’une conversation. Un Américain lâche un juron et, dans la foulée, ajoute, comme pour excuser un langage un peu trop fleuri : « Pardon my French ». Mais pourquoi donc la langue de Molière, d’ordinaire synonyme de poésie et d’élégance, se retrouve-t-elle associée, dans le monde anglophone, à la vulgarité ?
Bien que cette expression soit aujourd’hui largement répandue aux États-Unis, elle serait née en Angleterre, au XIXᵉ siècle, avec un tout autre sens. À l’époque, la bourgeoisie et l’aristocratie britanniques vouaient une véritable fascination à la culture française, perçue comme un symbole de raffinement. Dans les cercles mondains, il n’était pas rare d’émailler les conversations de mots ou d’expressions en français pour briller en société. Mais face à des interlocuteurs ne maîtrisant pas la langue de Voltaire, on s’excusait parfois en précisant : « Excuse my French », afin de justifier l’usage d’un terme inconnu de son auditoire.
Selon Anne Curzan, linguiste et historienne de la langue anglaise, l’une des premières traces écrites de cette expression se trouve dans le roman «The Twelve Nights » de Karl Von Miltie, publié en 1831. Cette formule servait alors à s’excuser d’employer un mot étranger, mais aussi, d’après la spécialiste, à afficher une certaine supériorité sociale, voire « une possible forme de condescendance ».
Rapidement, l’expression a évolué pour prendre un tout autre sens, plus ironique et teinté de second degré. Plutôt que de signaler un terme inconnu, elle est devenue une façon amusante d’excuser des propos jugés grossiers. Dès le milieu du XIXᵉ siècle, selon Anne Curzan, « Pardon my French » commence à être utilisé pour justifier l’emploi de jurons ou d’expressions crues, avant d’être popularisée au XXᵉ siècle et de définitivement entrer dans le langage courant avec cette signification.
Au-delà de son usage humoristique, cette expression reflète aussi, selon Anne Curzan, « la rivalité historique entre la France et l’Angleterre ». Meilleures ennemies depuis des siècles, ces deux nations se sont affrontées à travers de nombreux conflits avant de devenir alliées. Après la conquête normande de 1066, la langue française a exercé une influence majeure outre-Manche, notamment dans les domaines juridiques et diplomatiques.
Mais cette influence n’a pas toujours été bien perçue. La linguiste rappelle ainsi que dans la langue de Shakespeare, le mot « French » est parfois « associé à des connotations sexuelles ou vulgaires » comme, par exemple, dans les expressions « The French pox » (la syphilis) ou « a French letter » (un préservatif). Des formulations qui trahissent une forme d’hostilité envers la France. Le détournement de « Pardon my French » pourrait ainsi avoir été un moyen, pour les Anglo-Saxons, de prendre leurs distances et de se moquer d’une culture rivale et mal-aimée.
Aujourd’hui, la locution est solidement ancrée chez les anglophones, qu’ils soient britanniques ou américains. On l’entend fréquemment dans les films, les séries et même en politique. Les Français, quant à eux, se sont approprié l’expression avec humour, la détournant sur des autocollants, des t-shirts ou encore des noms de commerce. Alors, la prochaine fois que vous entendrez un « Pardon my French », vous saurez qu’il n’a en réalité rien à voir avec notre belle langue… Même si, soyons honnêtes, le français ne manque pas d’expressions qui feraient rougir le plus grossier des Américains. Mais celles-là, nous ne les traduirons pas ici !