Les Français s’apprêtent à élire leur président (les samedis 9 et 23 avril en Amérique du Nord). Ils pourront voter à l’urne ou, s’ils ne peuvent se rendre dans leur bureau de vote, voter par procuration. Un mode de vote qui n’existe pas dans le système électoral américain. Pourquoi ? C’est la question bête du jour.
Le vote par procuration (proxy) a bien existé aux États-Unis mais il a disparu après la guerre civile. « C’est très probablement la généralisation du vote à bulletin secret à ce moment là qui en est la cause », explique Terri Bimes, professeure associée en sciences politiques à l’université de Berkeley. Techniquement, c’est à ce moment là que les États-Unis adoptent ce qu’on appelle l’Australian ballot (le bulletin secret tel qu’on le connaît aujourd’hui). Avant l’adoption de ce bulletin venu des antipodes, les scrutins américains étaient publics : chaque électeur faisait connaître son choix, le plus souvent devant tous les habitants rassemblés, par la voix ou par geste.
À partir du milieu du XIXe siècle, le vote « par la voix » (by voice) a commencé à laisser place au vote « par ticket » : ces listes de candidat pour chaque siège à pourvoir, étaient imprimées par les partis. Les électeurs déposaient ces tickets, clairement identifiés aux couleurs du parti, dans les urnes et leur vote était donc, là aussi, public. Le passage au bulletin secret a permis de diminuer la corruption et les pratiques d’intimidation liées au vote public. « Le vote par procuration en a probablement fait les frais, estime Terri Bimes, puisqu’il était tout aussi susceptible de fraudes que le vote public. »
S’il est très répandu dans le milieu de l’entreprise ou des associations (pour les votes en assemblée générale), le proxy voting n’est jamais réapparu en politique, laissant la place au vote par correspondance, à une exception près, due à la Covid-19. La Chambre des Représentants a en effet adopté une nouvelle disposition permettant aux parlementaires de voter à la place de jusqu’à dix collègues absents. Une petite révolution : même dans les heures les plus sombres de la république américaine (guerre civile, 11-Septembre…), l’obligation de présence pour les élus avait prévalu.
Il ne faut pas y voir un quelconque début d’ouverture, selon Andrew Tutt, avocat au sein du cabinet Arnold & Porter. « Les changements ne dureront pas. Même les changements introduits par les États (pour faciliter le vote par correspondance, ndlr) ont été présentés comme des mesures d’urgence. Par ailleurs, le Congrès a adopté la procuration à l’issue d’un vote partisan : la résolution est venue de la Chambre des Représentants, contrôlée par les démocrates, et les républicains au Sénat l’ont largement condamnée. »
Une première version de cette Question Bête a été publiéé le 13 octobre 2020.