L’image fera date. Joe Biden a reçu Donald Trump à la Maison-Blanche mercredi 13 novembre. Une tradition censée incarner le transfert pacifique du pouvoir entre un président-sortant et un président-élu, pierre angulaire de la démocratie américaine, à laquelle le républicain ne s’était pas plié il y a quatre ans.
Cette rencontre marque la face visible de ce que l’on appelle la « transition », le processus par lequel le nouveau et l’ancien gouvernement préparent de concert le changement à la tête de l’État et la continuité des affaires. Aux États-Unis, cette phase prend plus de temps qu’en France ou d’autres pays européens. En effet, il s’écoule 75 jours entre « Election Day » (le 5 novembre, cette année) et l’investiture du président (le 20 janvier 2025 à midi heure de Washington). Pourquoi une telle durée ? C’est la question bête du jour.
Initialement, les périodes de transition entre les deux administrations étaient encore plus longues : elles s’étendaient sur quatre mois. Alors que l’élection du président avait lieu en novembre, son entrée en fonction intervenait en mars. Elle a même eu lieu en avril pour le premier dirigeant, George Washington, en raison de délais causés par une météo peu clémente.
Pourquoi une telle durée ? La réponse tient en partie au scrutin indirect utilisé pour élire le président. Quand les Américains se rendent aux urnes, ils votent en réalité pour des « grands électeurs » qui forment le collège électoral, l’organe chargé de choisir formellement le locataire de la Maison Blanche en fonction du vote populaire dans chaque État. Ces 538 electors ne se rassemblent pas avant la mi-décembre, le temps de laisser le dépouillement se dérouler (à la publication de cet article, celui du scrutin de 2024 est toujours en cours !).
Le résultat doit ensuite être lu et proclamé lors d’une session conjointe du Congrès à Washington le 6 janvier. C’est cette étape du processus que les partisans de Donald Trump ont perturbé en 2021 quand ils ont pris d’assaut le Capitole. Bref, la procédure de désignation du commander-in-chief prend du temps, ce qui allonge la passation de pouvoir.
Il convient aussi de garder à l’esprit que les délais de communication et de transports au XVIIIe et XIXe siècles étaient plus longs qu’aujourd’hui. Il fallait du temps pour que les résultats dans les différents États soient compilés et transmis, et que les vainqueurs organisent leur déménagement à Washington, ce qui n’était pas une mince affaire à l’époque !
L’entrée en vigueur en 1933 du 20e amendement de la Constitution raccourcit la période de transition en fixant au 20 janvier la date de l’investiture du président. Il s’agissait de donner au nouveau Congrès (Chambre des Représentants et Sénat), qui entre lui en fonction le 3 janvier, assez de temps pour résoudre une éventuelle égalité entre deux candidats au collège électoral, scénario qui s’est produit une seule fois dans l’histoire du pays – lors du duel entre Thomas Jefferson et Aaron Burr en 1800.
Tout de même, attendre deux mois et demi n’est-il pas trop long ? Pour Heath Brown, professeur à l’université new-yorkaise John Jay et auteur d’un ouvrage sur la transition de 2020, cela n’est pas de trop « compte-tenu de la taille et de la complexité du système fédéral américain », un mastodonte de plus de 2 millions d’employés civils répartis sur l’ensemble du territoire.
En effet, le président doit notamment nommer plus de 4 000 fonctionnaires à des postes divers de l’administration. « Une partie d’entre eux requièrent la validation du Sénat et les autres doivent être évalués, leurs antécédents vérifiés. Et on doit les affecter aux bonnes fonctions… Même une petite fraction de ces nominations nécessite un travail chronophage », raconte l’expert.
Ce dernier précise aussi que, si le gros du travail de transition a lieu après l’élection, les rouages se mettent en mouvement « six mois avant » avec la création de conseils dédiés au sein de la Maison Blanche et dans les différents ministères pour préparer la passation de pouvoir. Ceux-ci « commencent à collecter diverses données et informations en vue d’être partagées avec le prochain gouvernement en cas de changement de pouvoir. Ils préparent notamment des rapports sur le travail en cours, les défis rencontrés…, dit-il. Alors que les campagnes électorales sont définies par la compétition, les transitions sont des moments de coopération entre les deux camps ». Sauf si le sortant ne reconnaît pas sa défaite.