« America The Beautiful », « God Bless America », « America First »… Le terme « Amérique » est allègrement utilisé pour désigner les États-Unis. Ce n’est pourtant pas la même chose. L’« Amérique » est avant tout le nom du continent, inspiré de celui de l’explorateur Amerigo Vespucci, qui s’étend de l’océan Arctique au nord jusqu’au Cap Horn au sud, tandis qu’«États-Unis d’Amérique » fait référence au pays, fédération de cinquante États et de territoires divers. Pourquoi utilise-t-on les deux mots de manière interchangeable ? C’est la question bête du jour.
Pour ajouter un peu de piment à la réponse, commençons par souligner que, même si le mot America est contenu dans le nom officiel du pays – et qu’il est certainement plus facile à dire au quotidien que United States of America, soit dix syllabes – son utilisation n’est pas toujours allée de soi. D’autres noms, en l’occurence Fredonia, la terre des individus libres, et Columbia, référence à Christophe Colomb, ont circulé à l’aube de la république. Alors que le premier n’a jamais décollé, ce n’est pas le cas du second. « Columbia était très utilisé au XIXe siècle pour désigner le pays, en particulier dans un registre poétique. Beaucoup de chants patriotiques, comme Hail, Columbia ou Columbia, The Gem of the Ocean n’ont même pas le mot Amérique dedans ! », observe Daniel Immerwahr, professeur d’histoire à l’université Northwestern et auteur de l’ouvrage How to Hide an Empire. « Le nom District de Columbia ou les villes appelées Columbus sont hérités de cette période ».
Si le gentilé Américain est utilisé depuis la naissance du pays, Amérique est rarement employé dans la vie politique. En effet, en se plongeant dans les discours de présidents états-uniens du début du XIXème siècle, l’historien n’a trouvé que « onze références non-ambigües » au terme. « Les mots les plus populaires à cette époque étaient ‘États-Unis’, ‘Union’ ou encore ‘République’, dit-il. Certains font allusion à ‘early America’, mais c’est pour désigner la période avant la fondation des États-Unis ».
Pour Daniel Immerwahr, cette utilisation parcimonieuse reflète aussi la conscience internationale des leaders du pays. « Ils étaient très au fait de la situation politique du reste des Amériques, notamment le sud, où les nations commençaient à déclarer leur indépendance de l’Europe. Les dirigeants des États-Unis, au niveau national comme local, se félicitaient de ces révolutions, qu’ils considéraient comme le fait de républiques sœurs, dit-il. Ils savaient que l’Amérique renvoyait à un ensemble bien plus grand que la seule Amérique du Nord. »
Cela a changé dans la seconde moitié du XIXe siècle avec les velléités expansionnistes des États-Unis. Après avoir acheté l’Alaska en 1867 et être entrés en guerre contre l’Espagne en 1898, ils ont pris le contrôle de plusieurs colonies, comme Guam, Hawaï, Porto-Rico, les Philippines, les Samoa ou encore des Îles Vierges. « Compte-tenu de la diversité de ces territoires, il est devenu de plus en plus difficile d’utiliser des termes comme Union, République ou États-Unis, reprend le professeur Immerwahr. Cela a provoqué une sorte de crise d’identité ».
C’est le président Teddy Roosevelt qui la solutionna en mettant United States et America sur le même plan. « Il fut l’utilisateur le plus agressif du terme. Pendant une période de deux semaines, il l’évoqua plus de fois que tous ses prédécesseurs réunis ! ». La classe politique le reprend en chœur. Il fait aussi son apparition dans les chants nationaux, comme God Bless America, composé en 1918. On notera que l’hymne, Star Spangled Banner, écrit en 1814 sur fond de guerre avec la Grande-Bretagne, n’en fait pas mention.
Pour l’auteur, cette appropriation à des conséquences politiques. « En appelant les États-Unis l’Amérique, le pays ne se pense plus comme une union d’États. Ensuite, l’arrogance inhérente à l’idée que seule une partie de l’Amérique mérite le nom de tout le continent est indissociable des ambitions impérialistes qu’expriment les États-Unis dans le Pacifique et les Caraïbes à l’époque ». Faut-il donc s’abstenir de dire America aujourd’hui ? « C’est difficile de s’en passer dans la vie quotidienne sans paraître bizarre, mais quand je suis en contrôle de ce que j’écris, je ne l’utilise pas ».