« Demonstrate leadership: needs improvement ». La sentence est tombée comme un couperet. Pascal est sorti de son « annual performance review » avec une grosse boule à l’estomac : il ne comprend pas l’évaluation de son manager.
Pascal pensait avoir plutôt bien réussi. Pour sa première année aux Etats-Unis, il avait fait d’énormes efforts pour s’intégrer et pour comprendre les enjeux de son nouveau boulot. Alors qu’il pénétrait dans la salle de son entretien annuel d’évaluation, dans sa tête raisonnaient les « Good job! » et « Excellent!» que son management avait égrainés à son égard tout au long de l’année. « Mais les résultats écrits sur mon formulaire étaient bien moins positifs que ce que me disait mon boss, et lorsqu’il a indiqué ‘needs improvement’ en face de ‘leadership’, j’ai cru que je recevais un coup de poing dans le ventre. Je suis sorti de l’entretien, j’avais l’impression d’être nul. »
Lorsque les expatriés français démarrent une mission dans une entité américaine, certains sont agacés par les feedbacks très positifs de leurs managers américains. Ils considèrent qu’il s’agit là d’une certaine forme d’hypocrisie. D’autres a contrario se laissent porter par le positivisme à l’américaine. Certes, celui-ci présente d’énormes avantages, mais aussi des inconvénients. Comme celui d’occulter les erreurs, les risques, les impasses. Ce fut le cas pour Pascal. Nous avons beaucoup travaillé ensemble pour essayer de réduire l’écart entre la perception qu’il avait de lui-même et celle qu’avait son manager. Le fait qu’il manquait de leadership signifiait-il qu’il était nul ? Ma question l’a fait sourire… « Certainement pas ». Mais c’était pourtant ce qu’il avait ressenti en sortant de l’entretien. Pascal avait, sous le coup de l’émotion, généralisé une case que son manager avait remplie concernant sa performance à l’ensemble de sa personne. Pourquoi ? Parce que le leadership est un point important pour lui, sensible, essentiel. Parce que son manager américain pensait en termes d’ « actions », « achievements », « results » et que Pascal, à ce moment-là pensait à « moi, futur leader ». La logique américaine « il faut remplir la case » accompagnée d’un discours managérial prudent était entré violemment en collision avec la perception d’un Pascal futur leader. D’un seul coup, il a compris qu’il n’avait pas forcément les qualités de leadership qu’il pensait avoir, sans pour autant que ce soit dit explicitement par son manager. C’était comme un malaise, le malaise de celui qui réalise soudain qu’il est loin de ressembler à l’image qu’il se faisait de lui-même. Sans savoir pourquoi.
D’ailleurs, que signifiait avoir du leadership ? Vaste notion. Les programmes des universités américaines regorgent de cours de développement du leadership. Mais qu’est-ce que cela voulait dire exactement pour lui ? Son manager lui avait répondu qu’il manquait de personal drive, de capacité à prendre des décisions, d’assertivité, de pouvoir d’influence. Qu’est-ce qui dans son comportement avait pu laisser penser tout cela ? Pascal a sollicité un nouvel entretien avec son manager pour définir son plan de développement en matière de leadership. Sur quels points précis devait-il s’améliorer ? En fait, dans son effort d’intégration, et pour être bien accepté par les membres de l’équipe, il était passé pour un « type sympa », alors que son manager attendait qu’il soit plus directif. Sa philosophie « pas de vagues » allait devoir être révisée. Avec diplomatie et élégance, mais révisée quand même… Il avait mis du temps à assimiler la mission de l’entreprise et n’avait pas suffisamment défini la sienne vis-vis des personnes avec qui il travaillait. Il avait été un bon team player, mais n’avait pas été assez force de propositions. Il avait fait son job, certes, mais il n’avait rien entrepris pour aller au-delà, pour pousser les murs, pour exploser les targets. Or, c’était bien ça qu’on attendait de lui, « à son niveau ». Sans le lui dire, bien sûr, mais n’était-ce point-là le rôle d’un leader ?
Alors pourquoi lui avait-on dit jusqu’à présent que tout allait bien ? Overstatement à l’américaine ? Il allait devoir s’y habituer et apprendre à décrypter les comportements : analyser la manière dont les différents managers de son organisation donnent des feedbacks aux personnes de leurs équipes, réévaluer les compliments à la lumière de ses résultats, apprécier les renforcements positifs en termes d’encouragements et déployer son radar interne pour comprendre les points à améliorer.
La boule à l’estomac avait disparu et la réflexion ayant suivi le coup de poing avait été bénéfique. Il devait apprendre à rassembler autour de son projet des gens culturellement différents et à communiquer ses décisions sans passer pour l’expat-qui-sait-tout-mieux-que-les-Américains.