Paralysée et engouffrée dans des querelles intestines, du moins côté républicain, la Chambre des Représentants n’a pas bonne presse en ce moment. Mais cela ne décourage pas Bruno Grandsard.
Ce Français de Brooklyn, âgé de 58 ans, espère y représenter le 10e District parlementaire de New York (sud de Manhattan et une partie de l’ouest de Brooklyn) à l’issue des élections de novembre prochain. Avant cela, il lui faudra créer la surprise dans les primaires démocrates du 25 juin en battant le sortant, Daniel Goldman, héritier de la fortune Levi Strauss et l’un des députés les plus riches du pays. Qu’importe pour le candidat, qui n’a pas peur des défis : adepte de la course à pied, il a couru le marathon de Paris sans entraînement quand il avait 16 ans et fait un Ironman. « Je ne veux pas avoir de regrets de ne pas l’avoir fait », confie-t-il autour d’un café à Brooklyn.
Élevé par une mère américaine et un père belge francophone dans la petite ville de Sainte-Gemme (Yvelines), Bruno Grandsard a grandi bien loin du Capitole. Même s’il a évolué dans un milieu « très politisé », une famille « de gauche mais très anti-communiste et anti-totalitaire », celui qui a fait campagne pour l’écologiste Brice Lalonde quand il était adolescent se passionnait plutôt pour la diplomatie. Face à la rigidité de l’université française, il est parti étudier à la Fletcher School de Tufts University (Massachusetts), spécialisée dans les affaires internationales. « J’ai été élevé entre la France et les États-Unis, et mon père a vécu au Japon. Journaliste, il avait été le premier à écrire un dossier sur ce pays dans la presse française, explique-t-il. Je me disais qu’il fallait réunir les trois blocs – Japon, États-Unis et Europe – pour relever les grands défis de l’époque, à savoir la lutte contre le totalitarisme et la promotion du développement économique ».
Au fil de ses expériences professionnelles, son intérêt pour les affaires du monde fait progressivement place à une autre passion : la défense de l’environnement avec l’arme financière. Après différents postes en Europe, Asie et aux États-Unis, il devient en 2021 le directeur à New York d’une société spécialisée dans le conseil et le financement de start-ups de « clean tech ». Ses clients comptent Ynsect, l’entreprise française qui produit des ingrédients à base d’insectes et qui cartonne auprès des investisseurs. Une sorte de retour aux sources pour le Français. « J’ai été élevé dans un village de 200 habitants, entouré de champs. On faisait souvent du camping avec mes parents. On adorait la nature », rappelle-t-il.
Son engagement politique prend un coup de fouet en 2016. Après avoir vécu le « Brexit » lorsqu’il travaillait à Londres, il vient s’installer aux États-Unis à temps pour la victoire surprise de Donald Trump, en novembre. « C’était tellement loin de ce que j’aurais pu imaginer pour ce pays que j’ai décidé de m’impliquer plus en politique, explique-t-il. En 2019, je me suis dit : comment va-t-on battre ce gars ? S’il gagnait en 2020, je ne voulais pas que mes enfants me disent : qu’as-tu fait papa ? Quelle a été ta contribution ? »
Il fait donc ce qu’il fait de mieux – l’analyse – et comprend très tôt que Joe Biden est le meilleur candidat pour défaire l’ex-homme d’affaires alors que les commentateurs l’ont déjà enterré en raison de son mauvais début de campagne. Il donne donc de l’argent au démocrate, part faire du porte-à-porte en Iowa, dans le New Hampshire, le Nevada et en Caroline du Sud, les premiers États à tenir des caucus et primaires, et s’installe même en octobre 2020 avec sa fille en Pennsylvanie, un des « Swing States » de la présidentielle. Il rencontre aussi le futur président et son épouse, Jill.
Il décide de se lancer dans la course au Congrès il y a quelques mois sans se faire d’illusions – « c’est très rare que les gens comme moi gagnent ». À la différence de son adversaire, un millionnaire qui a utilisé sa fortune personnelle pour se faire élire en 2022 face à une mêlée d’une dizaine des candidats aux primaires, il ne vient pas d’une « position de privilège ». Son objectif : créer le débat face au sortant dans un système de sélection partisan qu’il juge « anti-démocratique ». « Un tout petit nombre de personnes choisit qui va être le candidat de la circonscription pendant des décennies, car une fois qu’on est élu, c’est très difficile d’être délogé », souffle-t-il. Comme candidat, il prône notamment l’ouverture de ces scrutins internes aux indépendants et le plafonnement des dépenses de campagne pour éviter que les prétendants les plus riches ne soient avantagés.
Jusqu’à présent, il a utilisé son temps libre pour arpenter sa circonscription, qui comprend la Statue de la Liberté, afin de collecter les 1 250 signatures d’électeurs nécessaires pour formaliser sa candidature. Début avril, il estimait avoir marché près de 418 kilomètres ! Il a déposé ses paraphes au bureau des élections le 4 avril.
Vêtu son t-shirt « Bruno for Congress », il en profite pour dialoguer avec les habitants. « J’écoute le district sans avoir d’idées pré-conçues », dit celui qui se décrit comme un pragmatique, qui veut accélérer les réformes environnementales de Joe Biden. « Je voudrais montrer que c’est comme ça qu’on fait de la politique. Pas en arrivant deux mois avant les élections avec un chèque. Dan Goldman n’est pas le seul. Il y a plein de candidats qui font ça ! ».
Comment ses interlocuteurs réagissent-ils en apprenant qu’il est français ? « On me demande parfois si je suis italien !, sourit-il. Je n’ai aucun complexe à parler français devant les gens. Ce n’est ni un ‘plus’ ni un ‘moins’. En plus, il y a une importante communauté française à Brooklyn. Quand je dis aux gens que je suis ici depuis des années, c’est ce qui compte le plus pour eux ».