Dans la petite boutique Thierry Atlan de Soho, sur West Broadway, les macarons colorés font concurrence aux chocolats. Julie Atlan, la fille du patron et future patronne, fait la bise au manager et propose son macaron préféré, parfum cassis violette. En cette fin d’été indien, macarons et chocolats côtoient également des crèmes glacées, aux goûts traditionnels bien sûr mais aussi au parfum de Birthday cake ou Cookies and Cream. « Les pâtissiers français qui viennent s’installer aux États-Unis doivent venir avec un esprit d’ouverture, sachant que les consommateurs américains ne sont pas les mêmes qu’en France », explique Thierry Atlan.
Il n’a que 16 ans lorsque Thierry Atlan commence à travailler chez un artisan pâtissier, dans sa ville natale de Troyes, par ailleurs berceau du plus grand nombre de Meilleurs Ouvriers de France en sucré. Quelques années plus tard, il se découvre une allergie au gluten, et passe de la pâtisserie au chocolat. Entré comme chocolatier chez Lenôtre, il y restera dix ans, pendant lesquelles il deviendra Meilleur Ouvrier Chocolatier de France, un titre prestigieux et rare qui ne demande pas moins de trois ans de préparation.
En 2000, il est débauché par le Disneyland Hotel, un hôtel de luxe dans le nouveau parc d’attraction Eurodisney qui souhaite offrir à sa clientèle de stars le meilleur de la gastronomie française. Il y restera deux ans. « La proposition, c’était burger + Petrus + des desserts d’exception créés dans notre propre laboratoire en chocolaterie ! Moi qui avais travaillé en production chez Lenôtre, j’ai découvert la relation client et rencontré beaucoup d’artistes. »
Fort de cette expérience, il deviendra l’un des premiers consultants en chocolat au monde, prodiguant conseils et expertise à des clients divers, de Dubaï aux États-Unis et de la Thaïlande au Mexique. C’est dans ses fonctions de consultant qu’il rencontre Lamia Jacobs, ancienne tradeuse de pétrole dont le rêve est d’ouvrir une pâtisserie de luxe. Ce sera Sugar & Plumm, une belle boutique sur Amsterdam Avenue. Au fil des années, Thierry Atlan travaille de plus en plus étroitement avec Sugar & Plumm, jusqu’à en devenir le vice-président en 2010. Il fait venir Antoine Tremblay, un ancien collègue chez Lenôtre et technicien hors pair, « la Formule 1 du chocolat ». Il déménage aux États-Unis avec sa femme et ses deux filles en 2013.
La période difficile du Covid aura raison de l’aventure Sugar & Plumm, mais depuis quelques années déjà, Thierry Atlan a commencé à distribuer ses chocolats à des hôtels, des bateaux de croisière ou des artisans-boulangers, en marque blanche ou sous sa propre marque. Il décide donc de reprendre l’atelier de l’entreprise à Moonachie dans le New Jersey, et d’ouvrir sa propre boutique. La boutique de Soho ouvrira en mai 2022. Un projet décidé en famille : « Sans Julie et Antoine, je n’aurais jamais repris l’atelier de Sugar & Plumm ».
Julie Atlan, qui a fini ses études de management à NYU en 2017, a travaillé avec son père chez Sugar & Plumm pendant deux ans, puis chez La Colombe Coffee et enfin chez La Fermière. Elle convainc son père qu’il y a une opportunité. « Ladurée a introduit aux États-Unis les macarons, un produit de luxe mais qui reste abordable. Mon ambition et celle de Julie, c’est de leur faire découvrir des chocolats artisanaux de qualité ». Il rappelle qu’en France, « encore très peu de gens faisaient des bonbons de chocolat dans les années 80, avant que des précurseurs comme Leonidas n’arrivent sur le marché ».
Ensemble, Thierry et Julie Atlan visitent des locaux, choisissent une ancienne boutique Moleskine, non loin de la boutique Ladurée. Tout le monde met la main à la pâte : Cécile Atlan, la femme du chef chocolatier, coiffeuse de profession, mais qui « a un don pour la déco », prend les photographies pour le site internet et crée les boîtes couleur crème. Julie Atlan fait du marketing, de la vente, de la logistique (le père et sa fille ont depuis recruté une Américaine pro de la logistique), de la comptabilité, des RH…. Antoine Tremblay est chef exécutif. Thierry Atlan, lui, se concentre sur ce qu’il fait le mieux : la qualité des ingrédients et des produits, et de nouvelles machines qu’il développe avec une société française qui les distribue dans le monde entier. « Je réfléchis tout le temps à de nouvelles innovations », explique Thierry Atlan. Parmi ces innovations, la sérigraphie en forme (la plupart des sérigraphies se font à plat), ou les macarons avec le top en chocolat.
C’est décidé, Thierry Atlan passera bientôt le bâton de CEO à sa fille Julie. Aujourd’hui, l’entreprise compte 17 employés, français et américains, dans un esprit que Julie Atlan décrit comme « familial et de bienveillance ». « Nous avons des exigences fortes en termes de qualité, mais nous avons aussi une dose de laisser-faire : nous encourageons nos employés à mettre leur propre touche sur tout ce qu’ils font », explique la future patronne.
Aujourd’hui encore, le chocolat reste très saisonnier aux États-Unis, « ce n’est pas encore un plaisir de tous les jours ». Alors, Thierry et Julie Atlan entendent bien développer des partenariats avec des marques, comme ils l’ont fait pour les macarons : macarons au champagne rosé avec Laurent Perrier, macarons Glenfiddich, macarons customisés chez Anthropologie, Salomon, Coach… « Je pense que l’avenir de ce pays, c’est la qualité. Les Américains aiment les choses authentiques, ils savent reconnaître la qualité », conclut Thierry Atlan. Une belle mission, transmise de père en fille.