Ne lui chantez surtout pas les louanges du café français. « Même Starbucks, c’est meilleur » lance Pierre Simenon, un brin provocateur, en reposant devant lui son gobelet au célèbre logo vert. Avec son large sourire, son air décontracté, sa carrure d’athlète et ses trois requins tatoués sur le corps, on le prendrait à s’y méprendre pour un natif californien. Installé chez l’Oncle Sam depuis une vingtaine d’années, cet écrivain d’origine suisse serait-il devenu plus Américain que l’Amérique ? « Je me considère d’abord et avant tout comme un nord-américain, confesse-t-il. Bien sûr, j’ai gardé un profond attachement pour la Suisse, le pays de mon enfance, dont je conserve fièrement la nationalité. Mais j’aurais vraiment beaucoup de mal à retourner vivre en Europe».
Pierre Simenon est né à Lausanne en 1959, d’un père belge – le célèbre écrivain Georges Simenon, auteur de près de 200 romans et créateur du personnage Maigret – et d’une mère canadienne. Il devient Américain deux mois avant le 11-Septembre. « Sous Bush » ironise ce démocrate convaincu, supporter de Barack Obama. Sa fascination pour l’Amérique, il la tient de son père. « Il nous a élevés dans la culture américaine. Il a lui-même vécu dix ans aux Etats-Unis qu’il a traversés d’est en ouest. S’il n’y avait pas eu le maccarthysme, il serait très probablement devenu Américain».
L’écriture, une révélation tardive
A l’aube de sa vie, Pierre Simenon s’intéresse peu à la littérature. « A la maison, on n’en parlait pas trop », confie-t-il. Et d’évoquer son père : « Cela faisait partie de son travail. Il s’enfermait des heures dans son bureau avec une pancarte do not disturb, sur la porte. Chez nous, on croisait Chaplin, Henry Miller, Fellini qui m’appelait pétité Simenoné. Pour moi, c’était juste des gens normaux». Plutôt qu’une carrière artistique, le jeune Pierre choisit l’économie. Après un passage par la banque à Genève, il part en 1987 effectuer un MBA à Chicago, puis enchaîne avec du droit à Boston. Jusqu’en 1996, il exerce en tant qu’avocat spécialisé dans le cinéma à Los Angeles – le 7ème Art est une de ses passions. « J’étais très bon dans ce que je faisais, mais ma vie m’est petit à petit apparue comme vide de sens : je vivais seul dans une grande maison à Brentwood. Je portais des costumes Armani, je roulais en Porsche. Je rentrais chez moi tard et passais mes soirées devant la télé. Ma femme m’avait quitté, ma mère et plusieurs proches venaient de décéder… ». Il décide alors de tout plaquer, monte dans sa voiture et traverse des Etats-Unis. « Je suis parti avec un dictaphone pour enregistrer mon journal de bord, et puis c’est le plan de mon premier roman qui m’est apparu. Auparavant, je n’avais jamais vraiment éprouvé le besoin d’écrire ».
Il mettra près de quatorze ans à finir le livre « Au Nom du sang versé », qui paraît finalement en 2010 chez Flammarion, écrit en anglais, la langue dans laquelle il pense et rêve. Ce thriller palpitant, raconte l’histoire d’un avocat suisse installé à Los Angeles qui, au décès de sa mère, doit prouver l’innocence de son père, accusé de collaboration pendant la Seconde guerre mondiale. Un roman autobiographique ? Pierre Simenon se défend en tous cas d’avoir cherché à laver les accusations de collaborationnisme dont son père fait souvent l’objet. « Même si effectivement, comme Antoine, le héros de mon livre, je connais bien ce genre d’allégations». S’il a choisi d’écrire sur la Seconde guerre mondiale, c’est parce qu’en plus d’être passionné d’Histoire, son père «l’a vécue et en parlait beaucoup ».
Comparaisons avec son père
C’est chez lui à Malibu, cité balnéaire célèbre pour ses plages paradisiaques et ses surfeurs, qu’il s’est posé pour écrire. Quand il n’écrit pas, il se consacre à ses deux jeunes enfants et à la plongée, sa passion. Georges Simenon aurait-il été heureux du chemin pris par son fils ? «Sans doute, car il voulait que mes frères, ma soeur et moi fassions ce qui nous rend heureux. Sauf politicien ou proxénète, et encore à choisir, il aurait opté pour le second ».
Les comparaisons avec l’œuvre de son père, il s’en moque. « Je ne prétend pas être un génie. Juste un écrivain débutant. Et puis je n’ai jamais pris des cours d’écriture. Mon père lui a été éduqué à la dure : il écrivait des feuilletons dans les journaux, entraîné par les plus grands écrivains, comme Colette qui lui rayait et lui faisait réécrire des phrases entières ». Le fils de l’auteur belge le plus populaire du monde n’a donc pas la prétention de vouloir marcher sur les traces de son génie de père. «Je veux juste écrire les bouquins que j’aimerais lire ».