Il assure que, des cinq héros de son film d’animation, lui est le loup. De prime abord pourtant, avec son sourire franc et généreux, Pierre Perifel dégage plus la douceur d’un agneau. À quelques blocs des studios DreamWorks Animation où il travaille depuis 14 ans, la rencontre avec le réalisateur français le plus côté du moment se fait sur le parking d’une cantine cubaine où il a ses habitudes. L’établissement est fermé, le cadre sera donc japonais pour parler de la carrière américaine du cinéaste bourguignon.
Depuis le 22 avril et la sortie au cinéma de son film d’animation « Les Bad Guys », le jeune quarantenaire n’a pas arrêté. « Ça a été la folie, entre l’avant-première, à LA, à Paris, et les interviews… Mais une bonne folie ! » Le film, qui raconte l’histoire d’une bande d’animaux malfrats qui, pour éviter la prison, doivent devenir des citoyens honorables, est resté deux semaines à la tête du box-office, totalisant aujourd’hui près de 150 millions de dollars de recettes dans le monde. Un succès « public » qui réjouit Pierre Perifel autant que le succès « d’estime ». « Les gens ont aimé ce que j’ai fait, ont compris mon envie, celle notamment de proposer quelque chose de différent, et ça, ça fait vraiment plaisir. »
Sa rencontre avec « Les Bad Guys » remonte à l’été 2018. « J’étais dans le bureau de mon collègue, producteur à DreamWorks, et j’ai vu la couverture d’un livre sur sa table. J’avais l’impression de voir Les Blues Brothers et Tarantino, en loups. J’ai flashé de suite. » À l’époque, le studio d’animation a racheté les droits de la série éponyme de livres pour enfants à succès, écrit par Aaron Blabey, et travaille déjà depuis 2 ans à l’écriture du script pour son adaptation cinématographique. Après avoir fait ses preuves en tant qu’animateur, puis directeur de l’animation sur un film, et co-réalisateur, Pierre Perifel est choisi pour réaliser le film d’animation. « J’avais découvert la réalisation en bossant sur un projet en interne, un court métrage “Bilby”, et j’avais adoré. Tu as une vue globale sur tout le processus, tu es en charge de tout, la créa, la musique, la lumière… C’est toi qui dit où on va, et ça, c’est vraiment cool. »
À la tête d’une équipe de près de 500 personnes pour « Les Bad Guys », Pierre Perifel donne la direction qu’il imagine au film d’animation. « Je voulais un dessin plus illustratif, stylisé et caricaturé, reminiscent d’une touche française en BD, et filmé avec des techniques de cinéma, avec un vrai parti-pris pour les mouvements de caméra par exemple, comme dans un film d’action. Le tout avec beaucoup d’humour. Une sorte de Tarantino pour enfants. » Une référence d’ailleurs qui s’affiche dès le début du film, avec une scène clin d’œil à celle du diner dans Pulp Fiction.
Enfant, le natif de Saône-et-Loire va régulièrement au cinéma, mais ne regarde que très peu la télé et les dessins animés. Il aime les BD, et dessiner, beaucoup. « Des personnages. Au début je copiais, Franquin, Uderzot. C’est vraiment en seconde que j’ai compris que c’était mon truc.» Un an plus tard, alors qu’il est en première S, il découvre via un camarade l’univers de la spécialité Arts Appliqués. Il décide de redoubler pour suivre le cursus, et obtient son bac deux ans plus tard avec mention Très Bien. Ce fils d’une institutrice et d’un ingénieur commercial a alors en tête de devenir designer industriel dans l’automobile. Jusqu’à un soir où est diffusé sur la petite télé familiale en noir et blanc un reportage d’Envoyé Spécial sur les Français travaillant dans les studios d’animations américains. « Là je découvre l’animation. Je suis fasciné. Et je me dis qu’il y a des gens dont c’est le métier ! Ils sortent tous des Gobelins. Ca me reste dans la tête. » Il tente le concours, le rate, et s’inscrit à l’école Emile Cohl à Lyon pour apprendre les bases du dessin. « La perspective, le fusain, les modèles vivants… J’ai tout appris, et je me suis éclaté. »
Trois ans plus tard, il tente de nouveau le concours d’entrée aux Gobelins, est reçu, et sort major de sa promo. Repéré grâce à son projet de fin d’étude « Le Building », un certain studio DreamWorks lui propose un poste. Qu’il refuse. « Je rêvais de faire du 2D, ils me proposaient du 3D. Et j’allais être papa, alors m’expatrier… Bref, ce n’était pas le moment. » Après des passages chez Ricochet, Neomis, ou encore Millimages, et autant de collaboration sur des films (« Lucky Luke : tous à l’Ouest », « L’Illusionniste », « Nocturne », etc), l’opportunité se représente en 2008. « J’étais en vacances à LA, et un de mes amis des Gobelins m’a fait visiter les studios DreamWorks où il travaillait depuis sa sortie d’école. J’ai fini par passer un entretien, et j’ai commencé début 2008. »
L’aventure ne semble pas prête de s’arrêter pour le premier réalisateur français d’un long métrage d’animation américain, qui se voit déjà écrire la suite des « Bad Guys » et développer d’autres projets originaux. « Je n’avais pas de rêve américain, je n’avais pas l’intention d’être réalisateur, mais j’avoue que de voir l’affiche de son film en énorme sur Sunset Bd, ça met des papillons dans le ventre ! Surtout, je savoure ma chance de faire quelque chose que j’aime, d’avoir un métier passionnant, et qui ne me donne jamais l’impression de travailler. » Ni français, ni américain, le rêve de tout à chacun.