“Pour comprendre les Etats-Unis, il faut d’abord comprendre ce qu’est le philanthropisme“, explique l’écrivain Guy Sorman, auteur du livre Le Coeur américain (2013). Selon lui, pas moins de 90% des Américains s’y adonnent. Pourquoi ? C’est la question bête de la semaine.
Petit rappel sémantique : la philanthropie désigne l’amour de l’Homme. Aux Etats-Unis, le terme renvoie au désir profond de changer la société pour faire disparaître la pauvreté, les maladies, les discriminations et autres maux sociaux. “Il ne faut pas confondre philanthropie et charité, qui consiste à éradiquer la pauvreté. La philanthropie, elle, consiste à éradiquer les causes de la pauvreté“, précise Guy Sorman, qui dirige aussi la publication France-Amérique. Et si le mot fait penser à l’argent, détrompez-vous. “Ce qui caractérise la philanthropie, c’est le don d’argent mais aussi le don de soi et de son temps à une association humanitaire, une fondation, l’Eglise, un établissement éducatif …”
Les raisons sont nombreuses pour ceux qui veulent donner, des volontaires anonymes aux super-riches, en passant par les célébrités que l’écrivain regroupe sous l’expression de “philanthropie spectacle“. La tradition du don est fermement ancrée dans l’Histoire américaine et intimement liée aux racines religieuses du pays.
Avant les Bono, Brad Pitt et Bill Gates, il y avait d’abord John Winthrop, un pasteur dont le célèbre sermon est gravé dans la mémoire américaine. En 1630, sur le navire Arabella en route pour Salem, il enjoint aux pionniers de construire une “ville sur les hauteurs” et “fonder cette société nouvelle sur le don.” Guy Sorman explique que, selon le pasteur, Dieu a voulu qu’il y ait des riches et des pauvres, et que les uns doivent restituer aux autres cette fortune venant de Dieu.
Un siècle plus tard, Benjamin Franklin, l’un des Pères fondateurs des Etats-Unis, cède son imprimerie et octroie ses biens à des hôpitaux, universités, bibliothèques, et à la recherche scientifique. C’est avec lui que l’idée de supprimer la pauvreté fait surface, perpétuée par le richissime John D. Rockefeller qui va concentrer ses dons sur l’éducation et la recherche médicale.
Aujourd’hui, les Américains sont “plus nombreux à donner qu’à voter !” rappelle M. Sorman. Deux tiers d’entre eux accordent une part de leur temps à une œuvre philanthropique et 60% des dons aux Etats-Unis vont aux Eglises. “Par générosité” surtout, estime Guy Sorman – une attitude qui conduit à une reconnaissance sociale. Mais aussi parce que la fiscalité est avantageuse : rappelons que Code des impôts fédéral permet de déduire le montant des dons du montant des revenus déclarés. Ainsi, “donner cent millions revient à n’en payer que soixante, cependant que la fondation recevra bien la totalité du montant.”
Mais “au final, ce n’est pas ce qui importe. Seuls les résultats comptent“, poursuit M. Sorman. Pour l’écrivain, le monde voit la fondation Bill & Melinda Gates comme l’incarnation de la philanthropie américaine car son action est la plus médiatisée. “Ce qu’ils donnent paraît gigantesque, oui, mais par rapport aux millions d’associations qui existent, ce n’est rien.“