Le 14 novembre dernier, un collectif de dix acteurs du don en France lançait un appel aux entreprises afin qu’elles deviennent des acteurs clés de la philanthropie en France. Le monde associatif est sous-financé, et la potentielle coupe budgétaire de plus de deux milliards d’euros dans le budget de l’Agence française de développement (l’AFD, qui finance elle-même de multiples ONG et associations) ne vient que confirmer un retrait de l’État-providence.
Le financement public des associations en France a été divisé par deux en vingt ans. Plus précisément, la part des subventions a baissé de 41% dans le budget des associations entre 2005 et 2020, au profit de logiques marchandes, selon le Conseil économique, social et environnemental. Les philanthropes privés, individus qui utilisent leurs ressources pour soutenir des causes d’intérêt général, jouent un rôle de plus en plus important pour compenser cette baisse. Plus de 500 fonds de dotation (un fonds de dotation est une fondation qui n’en porte pas le nom) ont vu le jour entre 2022 et 2023, indique le dernier baromètre Fondation de France, mais la philanthropie est encore peu développée.
Alors qu’est ce qu’un philanthrope ? Il s’agit généralement d’une personne qui s’engage dans des actions concrètes, telles que des dons financiers à des associations, avec parfois la création de fondations ou de fonds de dotation, dans l’objectif de financer ou mettre en place des programmes d’insertion sociale, de soutien à la recherche, de préservation de l’environnement, d’amélioration de l’accès à l’éducation, etc. La philanthropie est aujourd’hui essentielle pour permettre de répondre aux différentes crises sociales et environnementales qui menacent les sociétés actuelles. Ces enjeux sont, pour beaucoup, portés par les associations.
Ces associations, souvent dirigées par des entrepreneurs sociaux, sont les acteurs principaux, dotés d’une influence locale significative, dans la construction d’une société que la démocratie aspire à rendre plus égalitaire. Cependant, tous les individus ne partagent pas les mêmes priorités. Certains valorisent la visibilité accrue des minorités, tandis que d’autres ne perçoivent pas l’urgence d’aborder les injustices systémiques. Pourtant, au-delà des divergences philosophiques sur les inégalités, il est crucial de comprendre que la persistance de ces injustices a des conséquences économiques. Les luttes des minorités, lorsqu’elles sont ignorées ou réprimées, peuvent engendrer des grèves, des mouvements sociaux ou des tensions accrues dans les quartiers populaires, autant de situations qui alourdissent les dépenses publiques et freinent la prospérité collective. Sans oublier que le monde associatif a un poids économique d’environ 113 milliards d’euros, ce qui signifie que la contribution des associations au PIB représente 3,5% de la valeur ajoutée de la France.
Il est temps pour les Français de donner plus systématiquement et il est temps pour les Français de l’étranger de contribuer. Il est question d’un grand transfert de richesse aux États-Unis (« the great wealth transfer »), selon lequel 84 trillions de dollars seraient transférés des Baby-Boomers vers leurs héritiers d’ici 2045. Parmi cette somme, entre 6 et 27 trillions de dollars pourraient être alloués à des organisations caritatives et à des projets associatifs, selon le Centre sur la richesse et la philanthropie du Boston College. Ainsi, une portion de ces fonds sera dans les mains de Français de deuxième ou troisième génération d’immigrants aux États-Unis. Alors qu’en France le nombre de donateurs individuels diminue (malgré une hausse du montant moyen des dons), parallèlement à une augmentation du nombre de fonds et fondations, ces nouveaux financements seront essentiels pour pallier ce déséquilibre et soutenir les initiatives caritatives.
Peu importe d’où vient le désir de contribuer ou de redonner, il est parfaitement possible, concevable et même agréable de joindre une déduction d’impôts sur le sol américain à une donation à une association française. Pour les Français de l’étranger, contribuer à la philanthropie en France revêt souvent une importance particulière, car ils entretiennent généralement un lien profond avec leur pays et leur culture d’origine.
« On est déjà ultra sollicité » est une des phrases qui revient le plus souvent dans les conversations avec des donateurs français vivant à New York. Oui les Français de l’Amérique de Nord sont très sollicités. D’abord parce qu’ils font partie des Français ayant les plus hauts revenus, mais aussi parce que les associations françaises, les institutions et monuments français (et américaines d’ailleurs) ont besoin de leur aide pour continuer leur travail.
Il est tout à fait possible de passer d’une philanthropie subie (« j’ai acheté deux places à ce gala parce que mon ami X me l’a demandé »; « j’ai donné aux American Friends du petit pont de la Varenne parce que j’ai dîné à côté du cousin du Président du Conseil d’Administration ») à une philanthropie en tant qu’acteur, en tant que leader qui accompagne le changement. Les Américains ont donné 557,16 milliards de dollars en 2023, soit 1.9% de plus qu’en 2022, année au cours de laquelle ils avaient donné 499,33 milliards. À titre de comparaison, seulement 16 milliards d’euros ont été engagés en 2022 en France au bénéfice de toutes les causes, soit environ 31 fois moins, pour une population 5 fois plus faible.
Certes, pour les Français vivant en France, la philanthropie n’est pas encore ancrée dans les mentalités de manière aussi systématique qu’elle ne l’est aux États-Unis. Il reste donc un chemin important à parcourir pour en faire une pratique plus courante. Cependant, pour ceux qui vivent déjà en Amérique du Nord – potentiellement élevant leurs enfants dans un environnement où la philanthropie est valorisée – pourquoi ne pas adopter cette culture du don et de l’engagement social ? Une véritable acculturation à la philanthropie américaine est essentielle pour intégrer ces pratiques et valeurs dans la société française.
Il faut faire de la philanthropie un choix, la philanthropie n’a pas à être subie et répétitive, elle peut représenter les valeurs qui anime un individu, une famille, elle permet de transformer une volonté en une action concrète. S’il y avait une chose que vous souhaiteriez voir transformée avant la fin de votre vie, en France, quelle serait-elle ? S’il y un lien vers la France, s’il y a moyen de contribuer à hauteur tout simplement, si vous le souhaitez, de votre déduction d’impôt, c’est le moment de se mettre à chercher. C’est le moment de regarder si une association en France pourrait bénéficier de votre don.
Et si la réponse peut se trouver aux États-Unis, alors donnez aux États-Unis, investissez en tant que philanthrope dans des acteurs qui s’activent à transformer cette cause qui vous tient tant à cœur.
Chaque semaine, French Morning publie la tribune d’une personnalité, extérieure à la rédaction, sur des sujets transatlantiques variés, afin d’alimenter le débat d’idées. La tribune n’étant pas signée par la rédaction, elle ne reflète pas la position de French Morning. Si vous souhaitez contribuer et proposer un texte (600 à 1200 mots), merci de nous contacter à l’adresse suivante : [email protected]
À propos des auteures :
Emeline Foster travaille avec des leaders américains et européens depuis plus de 15 ans. Elle a dirigé la French-American Foundation à New York et la French-African Foundation puis accompagné la structuration du Philanthro-lab à Paris. Elle se consacre désormais à l’accompagnement des grands donateurs dans la distribution de leur don. Site et contact
Capucine Rame est étudiante en master 1 affaires politiques à Sciences Po après une double licence à Columbia University. Elle travaille avec Emeline à différents titres depuis plusieurs années.