Anne-Julia Audray et son mari Olivier Chazareix voulaient acheter un appartement à Manhattan. Résultat: ils se sont offert une église sur Long Island.
Le couple de Français est devenu une sensation dans la coquette bourgade de Southold, 6.000 habitants, posée au milieu des vignes et des fermes de l’extrémité de l’île, depuis qu’ils ont acheté l’église méthodiste du centre-ville pour 1,025 million de dollars. La dernière messe y avait été dite en juin 2014 et la structure, veille de près de deux siècles pour certaines parties, attendait sagement preneur.
Aujourd’hui, les époux veulent en faire plus qu’un lieu de vie. Ils ont l’intention de la transformer en maison d’opéra – la Southold Opera House – pour permettre à Anne-Julia Audray, cantatrice et présidente de la Long Island Opera Company, de réaliser un vieux rêve: offrir aux jeunes artistes “qui n’ont pas beaucoup d’argent, mais un talent fou” un lieu pour développer leur technique vocale et lancer leur carrière.
“On nous a dit que nous étions des bobos mais nous avons acquis cette église car nous voulons y développer une activité. Il ne s’agissait pas de dire autour de nous que nous avions une église. Non! Ce n’est pas une lubie, un caprice… C’est quelque chose qui vient avec un projet, personnel et professionnel” , souligne Olivier Chazareix qui, dans sa vie parrallèle manhattanite, est CFO du Credit Agricole CIB Amériques.
Tout a commencé quand Anne-Julia Audray est tombée, au hasard de ses recherches immobilières, sur “des pages et des pages d’églises à vendre” dans l’Etat de New York. Après avoir vu le listing pour la Southold United Methodist Church, le couple se rend sur place en mars pour “tâter le terrain” . Dans l’enceinte vide, Anne-Julia Audray chante “O mio Babbino Caro” de Puccini pour tester l’acoustique. Le coup de foudre est immédiat. “Je me suis: c’est foutue. Je suis prise!” se souvient-elle.
Eglise désacralisée
L’acte de vente a été signé en août après que l’église ait été officiellement désacralisée par la justice de l’Etat de New York. Outre l’église, qui se dresse fièrement le long de l’artère principale de Southold, la propriété compte un parking et le presbytère voisin, que le couple veut transformer pour le printemps 2017 en “bed and breakfast” et en salon de thé “à la française” .
“La mairie était contente qu’on arrive. Ils voulaient préserver le lieu. On leur a dit qu’on ne voulait pas toucher à l’esthétique. Nous sommes français. On ne rase pas les bâtiments anciens. C’est un crime” , raconte Anne-Julia Audray.
La nouvelle a rapidement fait le tour de la petite commune. Il n’aura pas fallu attendre très longtemps pour que les voisins défilent avec des tartes et des messages de bienvenue. “Ils sonnent, frappent à la porte. L’église est au centre de la bourgade. C’est quelque chose d’important. Elle fait partie de la culture. Même si tout le monde ici n’est pas méthodiste, ils ont des amis qui y sont allés, qui y ont eu des tranches de vie. C’est un lieu de communauté où l’on se rassemble, on discute” ajoute Olivier Chazareix.
Concert gratuit
Le premier concert au sein de la nouvelle Southold Opera House aura lieu le dimanche 20 décembre, avec la Chorale franco-américaine de New York, qu’Anne Julia Audray a fondée en 2013 (et à laquelle appartient l’auteur de ces lignes), ainsi que des chanteurs de la Long Island Opera Company. Ils interprèteront des chants de Noël du monde entier. L’évènement est gratuit.
Pour 2016, la cantatrice voudrait mettre une place “une belle saison d’été, avec un opéra, une comédie musicale” . Elle veut lancer un programme pour des jeunes chanteurs d’opéra qui veulent “mettre des rôles dans leur répertoire” . Disciple de William Christie, fondateur des Arts florissants, elle veut également faire des représentations de baroque. La maison d’opéra peut asseoir 200 personnes dans les travées actuelles, qui ont la particularité d’être en demi-cercle, comme dans un amphithéâtre.
Les multiples petites salles du sous-sol seront reconverties en studios pour les musiciens. Une fosse pour l’orchestre doit également être ajoutée devant la scène existante, à côté de laquelle se trouve un orgue qui marche toujours.
Certes, il y a aujourd’hui plus d’ouvriers que de musiciens dans l’ancienne église, attelés aux nombreux travaux de mise aux normes, mais “ce projet, c’est pour moi un besoin énorme depuis longtemps, glisse celle qui a lancé en 2012 une compétition de chants pour jeunes chanteurs au Carnegie Hall dans le cadre de son école de chant. “Je me sens investie d’une responsabilité. Aujourd’hui, cette église est vide. Demain, il y aura peut-être 200 personnes. Sans compter les chanteurs, les musiciens...”