Au pays du libéralisme économique, l’alcool fait toujours figure d’exception. Entre restes de Puritanisme et vestiges de la Prohibition, vendre des spiritueux aux Etats-Unis est un parcours du combattant, semé de règles et d’interdictions baroques. Cela pourrait changer à la suite de la “liquor war” qui agite le Missouri et au coeur de laquelle on trouve Pernod Ricard.
Au coeur du débat, une loi du Missouri (qui existe aussi dans une dizaine d’autres Etats), qui interdit à un producteur d’alcool de changer de distributeur comme bon lui semble. Adoptées après la prohibition, ces lois avaient pour but de lutter contre les monopoles instaurés par la mafia sur le commerce de l’alcool. Mais au fil des années, elles étaient surtout devenues une nuisance pour les groupes alcooliers, les empêchants de regrouper leur distribution à travers tout le pays, et de réaliser ainsi des économies d’échelles.
Du coup, les géants du secteur, Pernod Ricard (qui vend Absolut Vodka, Jameson Whiskey, Malibu, Chivas…) ou son concurrent Diageo (Johnnie Walker, Smirnoff, Captain Morgan…) notamment, se sont lancés dans une guérilla juridique pour tenter de changer les règles. Le hasard a mis le Missouri au devant de la scène et depuis plusieurs mois la capitale de l’Etat, Jefferson City, est prise d’assaut par les lobbyistes des deux camps, ceux des distilleurs et ceux des distributeurs, pour un combat qui, dit par exemple le Wall Street Journal, “pourrait changer la façon dont les alcools sont vendus dans tout le pays”.
Pernod Ricard USA a été le premier à passer à l’offensive, en janvier, dénonçant son contrat avec ses deux distributeurs locaux, Major Brands et Glazer. Dans les semaines suivantes, Diageo et Bacardi suivaient l’exemple du groupe français, tous avec le même objectif: diminuer le nombre de distributeurs jusqu’à n’en n’avoir plus qu’un seul pour tous les Etats-Unis. Depuis tous les protagonistes sont en procès les uns avec les autres. PDG du distributeur local Major Brands, Sue McCollum se bat pour la survie de son entreprise. Elle a pour le moment réussi à reprendre le contrat Pernod Ricard en devenant distributeur exclusif pour l’Etat, mais est assaillie de toutes parts. “Les alcooliers veulent remettre en cause le système de la franchise (qui régit les relations des producteurs avec leurs distributeurs) explique-t-elle à French Morning. Avec le départ de Diageo, nous avons perdu 25 % de notre chiffre d’affaires du jour au lendemain”.
Au printemps, Major Brands a gagné son procés contre Diageo, qui devra indemniser le distributeur pour rupture abusive du contrat. Cette décision de justice et le prochain procès visant à déterminer le montant des compensations que Diageo devra verser à Major Brands « n’ont pas d’impact sur notre cas, assure Jack Shea, vice-président aux communications de Pernod Ricard USA. Chaque société prend ses décisions. Nous n’avons pas forcément la même approche de la question de la distribution avec nos concurrents. Nous, nous avons porté ce cas devant la justice car nous pensons que la franchise peut mettre à mal la liberté des échanges et au final desservir les intérêts du consommateur. »
En pleine expansion depuis le rachat de la marque de vodka Absolut, Pernod Ricard USA est bien décidé à accompagner sa croissance en sécurisant ce qui lui semble « la meilleure route vers le marché » : un distributeur unique. « Nous ne nous opposons pas au principe d’un marché à trois niveaux (fournisseur, distributeur, détaillant). Mais nous avons atteint la taille critique qui nous permet de figurer parmi les principaux acteurs du marché américain, qui est désormais le premier mondial pour Pernod Ricard et notre équipe juridique a pris l’initiative », résume Jack Shea.
L’ensemble du secteur a en tout cas les yeux rivés sur le Missouri, et s’attend à voir les conflits se multiplier partout aux Etats-Unis. La guerre des liqueurs ne fait que commencer.