D’abord clandestine, puis nomade, la galerie parisienne PDP Gallery (“Puff Daddy Pezenas”) démarre une nouvelle aventure plus classique à Los Angeles. Fin octobre, Alexandre et Mathieu Latscha, respectivement 31 et 26 ans, ont ouvert leur espace dans le quartier d’Arts District. Ici, les deux frères, originaires de Montpellier, veulent partager l’évolution de l’art urbain, de la rue à la galerie. “Ce n’est pas une reproduction du street art. Mais un projet narratif, les artistes utilisant une technique de la rue pour s’approprier un courant artistique”, raconte Mathieu Latscha qui partage l’esprit fantasque de passionné de son frère.
Ils voient leur projet comme une plateforme culturelle, un projet collaboratif. Au travers de cette aventure collective, ils représentent douze artistes – et collaborent avec une quinzaine d’autres – qui proposent un art plus hybride que le street art, plus contemporain.
Pour découvrir le concept, rendez-vous du 15 décembre au 28 janvier avec “Unpaved Paradise”, l’exposition du peintre basque Inigo Sesma, qui offre un parallèle entre l’oeuvre de Kerouac et les aventures des artistes de rue. Elle retrace son road-trip en van entre New York et Los Angeles, en compagnie des fondateurs de PDP. Une aventure filmée par Mathieu Latscha qui s’évertue de “partager la sensation du moment où il peint”.
De Pezenas à Los Angeles, en passant par Montreuil
Très éloignés du sérail de l’art, les frères Latscha sont entrés dans ce milieu underground via une rencontre avec le graffeur parisien Shaka : “il nous a ouvert les portes de nombreux ateliers”, reconnaît Alex Latscha, un grand amateur de rugby et de viande.
Avant Los Angeles, ils ont laissé libre court à leur créativité à Pezenas (Hérault), un petit village du sud de la France. Après la mort de leur père, ils transforment la maison familiale en résidence d’artiste. Une folie qu’ils prolongent en ouvrant une galerie clandestine à Montreuil (Seine-Saint-Denis) en 2014. L’objectif : “retranscrire une sensation urbaine” en mélangeant les genres.
Louant simplement cette maison, qu’ils partagent avec des amis, elle se transforme rapidement en plateforme culturelle, à la fois lieu de fête et résidence d’artiste. Cela fonctionne tellement bien qu’ils multiplient les “art fair” et organisent une cinquantaine d’expositions -de Montreuil à New York, en passant par Londres. Les ventes explosent. Ils auraient pu continuer ainsi, mais ils se font expulser des lieux pour cause de tapage. Une bonne excuse pour rebondir. PDP ouvrira alors sa première galerie “classique” dans le XIe arrondissement de Paris, uniquement accessible sur rendez-vous, 24 heures/24 (toujours ouverte).
Très excessifs dans tout ce qu’ils entreprennent, les frères Latscha veulent transcender leur projet. Ils prennent alors l’initiative d’utiliser les fonds récoltés par les ventes d’oeuvres pour se lancer dans leur grande aventure : l’implantation de PDP Gallery à Los Angeles. “C’est notre plus grand défi, car c’est une ville tentaculaire”, admet Alex Latscha, qui a étudié plus jeune à Santa Barbara. “Il était trop tard pour Brooklyn, et Los Angeles est un point de passage pour l’art urbain.” Pour eux, cette expatriation permet de se confronter au marché institutionnel. “C’est une vraie aventure collective avec les artistes. Nous avions besoin du milieu underground pour la création. Aujourd’hui, on en sort pour se rapprocher d’une logique financière”, abonde Mathieu Latscha.
Pour autant, les galeristes français refusent de tomber dans le conventionnel. S’adaptant aux artistes avec lesquels ils ont un rapport familial, ils représentent des artistes de leur génération (18-48 ans), principalement européens, et surtout qui offrent une réflexion sur l’art contemporain. “Comme pour un film, la galerie est l’équipe technique des artistes”, développe Alex Latscha, qui veut revenir à l’histoire des Castelli, de grands galeristes qui ont fait voyager les oeuvres de Jackson Pollock. Pour montrer l’étendue des possibilités, ils rassembleront des artistes qui les touchent particulièrement, dont leur mentor Manolo Mesa, Iñigo Sesma et le muraliste Mohamed L’Ghacham, dès le 19 janvier pour l’exposition collective “Where art you”.
Un lieu éphémère
Alex et Mathieu Latscha vont enchaîner les expositions tous les mois -en plus de la collection permanente-, multiplier les événements (brunches, concerts, installations artistiques…) et y installer une boutique de vinyles. “Ce sera comme Montreuil mais dans une salle unique (de 500m2)”, compare Mathieu Latscha.
Mais PDP n’a pas vocation à s’éterniser à Los Angeles… Les deux frères se donnent deux ans. “On va aller au bout de notre expérience à Los Angeles, essayer de s’ancrer dans un lieu”, répètent-ils. Pour la suite, ils aimeraient monter un projet à Mexico ; puis à long terme, créer une fondation artistique au nom de leur père dans un petit village du sud de la France. Une manière de plus de véhiculer leur cri du coeur:“la culture ne meurt pas”.