Sur son épitaphe, au Père-Lachaise, on peut lire « Nothing is impossible ». Le même message est imprimé en lettres capitales sur les murs du De Young Museum, qui rend hommage au couturier afro-américain au travers une exposition de ses créations et objets personnels. Guidé par ce mantra, Patrick Kelly a marqué la mode des années 1980 par ses collections colorées, facétieuses sans être irrévérencieuses, et hautement symboliques. « Je veux que mes vêtements fassent sourire », affirmait-il. L’exposition « Patrick Kelly: Runway of Love » explore les différentes facettes de l’artiste, disparu des suites du SIDA en 1990, après une carrière météorique d’à peine cinq ans.
Du Mississippi à Paris
Né dans le Mississippi ségrégationniste en 1954, Patrick Kelly connaît une enfance très modeste. Sa grand-mère recoud régulièrement les boutons manquants de ses vêtements, utilisant des boutons de différentes couleurs qu’elle a à sa disposition, faute de pouvoir acheter la réplique des boutons originaux. Patrick Kelly a fait de l’utilisation des boutons sa marque de fabrique : il s’en sert pour dessiner des motifs colorés, surtout des cœurs.
« On retrouve aussi une évocation de son Sud natal dans la tenue que le designer arborait lors de ses défilés », explique Laura Camerlengo, responsable du département textile du De Young. « Une salopette en jean trop grande, tenue habituelle des ouvriers et des paysans américains, puis des défenseurs des droits civiques ».
Patrick Kelly tente sa chance à Paris en 1979, poussé par son amie top model Pat Cleveland. Il travaille d’abord anonymement pour plusieurs marques de prêt-à-porter, dont Eres. Il crée en parallèle des vêtements qu’ils demandent à ses amies mannequins de porter dans les rues de Paris. Ses créations, déjà inventives, sont remarquées par Nicole Crassat, rédactrice de mode au magazine Elle, qui consacre six pages à Patrick Kelly et lance ainsi sa carrière en 1985.
Josephine Baker, source d’inspiration
Le designer rend un hommage appuyé aux grandes maisons qui l’ont inspiré, en reprenant certains de leurs codes tout en y imprimant sa griffe. Les petits nœuds, si chers à Nina Ricci, sont déclinés à l’infini de mille couleurs; on retrouve le tweed de Chanel, mais avec des boutons oversize en plastique, ou encore les drapés qui rappellent la maison Grès.
La section Two Loves montre l’attachement de Patrick Kelly pour l’Amérique et Paris, comme l’avait chanté Josephine Baker, une autre source d’inspiration pour le couturier. Kelly y décline la Tour Eiffel sous plusieurs formes, et rend hommage à l’imagerie des grands espaces de l’Ouest américain.
Une première exposition consacrée à Patrick Kelly s’était tenue à Philadelphie en 2014. Le catalogue de l’exposition de San Francisco est le premier livre dédié au couturier. Plus de trente ans après sa mort, on ne peut qu’être saisi par le style si distinctif de ses créations, et par les multiples niveaux de lecture que l’on y découvre.
Kelly est aujourd’hui reconnu comme le premier couturier afro-américain à avoir traité du racisme, en utilisant des images habituellement caricaturales de ses origines : « Se réappropriant certaines représentations de la communauté afro-américaine d’habitude utilisées par les défenseurs de la suprêmatie blanche, il les dépouille de leur dimension raciste et s’en moque ouvertement », explique Laura Carmelengo. En 2020, la Kelly Initiative est lancée par plus de 200 professionnels afro-américains de la mode qui demandent une plus grande égalité des chances à l’embauche dans le domaine. Kelly serait sûrement fier d’avoir inspiré ce projet, car après tout, « Rien n’est impossible ».