Un après-midi de mars, nous retrouvons Vincent Lindon et tout ses tics à l’Empire Hotel. L’acteur est venu présenter son dernier film, « Pater », dans le cadre du festival de films français Rendez-Vous With French Cinema. La réalisation, nominée dans la catégorie du meilleur film aux Césars 2012, raconte la relation entre un Président (Alain Cavalier) et son Premier ministre, incarné par Vincent Lindon. L’acteur est habillé simplement, avec ce style décontracté qu’on lui connaît bien. Il s’exprime avec élan et générosité. Rencontre avec un homme passionné qui nous parle de ce film qui lui tient tant à cœur, mais qui n’a toujours pas trouvé de distributeur aux Etats-Unis. Heureusement, il sera projeté au festival Focus on French Cinema le samedi 24 mars.
French Morning : Comment est née l’idée du film ?
Vincent Lindon : J’ai croisé Alain (Cavalier) dans un café Rue du Bac. Je l’ai vu traverser la rue. Je suis allé le voir et lui ai dit : « Alain, continuer une carrière sans être filmé par vous, cela n’a pas d’intérêt ». Il m’a répondu : « Ecoutez, cela me fait très plaisir, je ne pense pas que j’aimerais re-filmer un acteur professionnel. Mais si je devais en arriver là, les deux seules personnes avec lesquelles j’aurais envie de travailler : c’est vous et Alain Delon. » En 2000, je suis allé le voir. On a passé huit ans à boire des coups ensemble, à se voir régulièrement. Et un soir, il me dit : « Je crois que j’ai le début du début d’une idée. » On pourrait faire comme des enfants qui jouent au cow-boys et aux Indiens. On a qu’à jouer au Premier ministre et au Président de la République. Puis, nous nous sommes donné rendez-vous à la maison, puis Alain a commencé à filmer petit à petit tout ce qu’il se passait…
Les dialogues dans le film sont-ils préparés ? Ou improvisés ?
On en a parlé pendant très longtemps. Pendant deux ans de loin et de près. Donc, tout ça a eu le temps de décanter. Vous savez, le meilleur moyen de laisser place à l’imprévu, c’est justement de prévoir les choses. Plus les choses sont prévues, plus l’imprévu peut s’infiltrer dans les choses. C’est pareil avec l’improvisation. Beaucoup de choses ont été prévues pour, tout à coup, laisser place à l’improvisation.
Beaucoup de projets politiques sont énoncés dans le film. Y croyez-vous réellement ?
Evidemment que j’y crois ! Ce n’est pas incroyable ce qu’on dit. Le Smic est à 1.250 euros. Ce n’est pas une utopie de vouloir affirmer que l’on veut restreindre l’écart des salaires. Dix fois le Smic, c’est largement assez pour vivre.
Le film est présenté aux Etats-Unis dans le cadre du festival « Rendez-Vous with French Cinema » c’est tout de même un film très franco-français étant donné qu’il s’appuie sur le fonctionnement de la politique française. Qu’attendez vous de sa diffusion aux Etats-Unis ?
Rien du tout ! Je vous l’annonce tout de suite : rien, j’attends rien du tout. Si je commence à me mettre à attendre, il ne va rien m’arriver du tout. Je suis venu le présenter. Ca a fait un carton au Lincoln Center. Les Américains étaient comme des zinzins. Ils étaient agréablement surpris. Mais je ne sais pas du tout ce qu’il va se passer.
Vous pensez que c’est un film qui peut tout de même parler aux Américains ?
Non, je ne pense pas que cela soit un film pour les Américains. Mais c’est peut-être parce qu’il n’est pas pour les Américains et qu’il est à 200.000 km de leur façon de penser qu’ils vont justement s’accrocher.
Y avait-il un enjeu particulier pour vous en faisant ce film? Personnel? Artistique? Politique? Ou autre?
Le but premier était de jouer pour Alain Cavalier et de passer du temps avec lui. En passant du temps avec lui, je me suis rendu compte qu’il remplaçait mon père, qu’on a beaucoup de choses en commun. J’ai partagé beaucoup de mes secrets avec lui. On a beaucoup parlé. On a échangé énormément de choses principalement sur l’amour et les femmes.
Pourquoi alors ne pas avoir fait un film sur l’amour et les femmes ? Il n’y a que des hommes dans « Pater »…
C’est un film très féminin car justement il n’y a pas de femmes dedans. Les hommes les plus virils au monde, les plus sexy sont justement les hommes qui ont une part de féminité en eux. Une part de féminité qu’ils assument. Et vice versa pour les femmes. C’est ça la folie des sexes. Dans le film, il n’y a tellement pas de femmes que c’est très masculin.
Mais l’idée du pouvoir, n’est-ce pas une idée plutôt masculine?
Non mais vous plaisantez là ! Le pouvoir, c’est tellement féminin. Les femmes sont des tueuses ! Ce sont elles qui ont le pouvoir à la maison. Ce sont elles qui ont le pouvoir sexuel, amoureux. Les femmes adorent instrumentaliser les hommes, les façonner… les rendre comme elles les aiment. Ce sont les femmes qui portent le monde. Je dis ça avec beaucoup d’amour. Car je pense qu’il n’y a rien de mieux qu’une femme. Ce film est donc très féminin. Les femmes ont adoré le film par exemple. Parce qu’il n’y avait que des hommes. En fait, le film est un cadeau pour les femmes car il n’y a que des hommes.
Les critiques ont été extrêmement positives et vous avez eu le droit à une standing ovation de 20 minutes au festival de Cannes l’an dernier. Vous vous y attendiez?
Pas du tout. Mais alors là vraiment pas du tout. Sincèrement lorsqu’on a fait le film, j’avais le sentiment de faire quelque chose de bien et de très intéressant mais je m’attendais à rien. Et Cannes, j’ai rien compris. J’étais en larmes. Je comprenais rien. Je voyais trouble. Je suis sorti, je savais pas ou mettre ma tête. J’avais le vertige. Ce fut une expérience sublime.
Après le succès de The Artist, pensez-vous que les films français vont vivre une nouvelle ère aux Etats Unis ?
Je suis très content pour The Artist. C’est génial ! Ils ont vraiment vécu un truc de fou. Je suis très content pour la France. Evidemment, tout à coup, il y a un focus. Mais ce qui me fascine avec le monde, c’est qu’on ne sait jamais ce qui va arriver. Si cela se trouve, dans trois ans, les Américains en auront ras-le-bol des Français.
Pendant la promo de Pater en France, vous avez réalisé une interview avec Allociné, qui a fait le buzz. Etait-ce fait exprès ?
Mais on n’est pas tous un peu comme ça? Vous par exemple, vous ne faites pas les trucs avec un cerveau qui se divise. En amour, en travail, il n’y a pas un deuxième « vous » ? Par exemple, vous rencontrez un garçon et le premier soir, vous vous embrassez, vous rentrez chez vous. Vous ne vous dites pas : « Tiens j’espère que je l’ai bien embrassé, que je sentais bon ». Vous ne vous posez pas ces questions ?
Donc, lorsque vous faites quelque chose, c’est toujours par intérêt?
Mais ce n’est pas l’intérêt. Moi, je fais des choses qui n’ont pas d’intérêt! Là, par exemple, le film n’a pas été acheté par un distributeur américain et je viens pourtant pour en parler. Il n’y a aucun intérêt pour moi d’être ici pour présenter « Pater », pourtant j’ai pris cinq jours de ma vie pour venir en parler. Je veux dire autre chose. Ca n’a rien avoir avec l’intérêt. On peut faire quelque chose de très sincère et avoir un autre petit cerveau qui étudie ce qu’on a fait. C’est de cela que je parle. Et donc ce jour là, si je me rends compte que je fais une interview intéressante, oui, j’ai un petit sonar qui dit : « Ca c’est sûr ça va aller sur le net ».
Et vous personnellement vous êtes tenté par une carrière à Hollywood ?
Pas du tout ! Je serais tenté que si l’on vient me chercher comme produit français. Mais me battre pour cela, ça me saoule. Vous n’avez pas idée comme ça me saoule !
Infos pratiques :
« Pater » à Focus on French Cinema Samedi 24 mars à 10h – The Performing Arts Center, Pepsico Theater – 735 Anderson Hill Road, Purchase College NY 10577. Directions et plus d’informations ici
0 Responses
Une interview-confession intéressante et originale! J’aime beaucoup son côté intimiste et presque… sensuel. A mettre entre toutes les mains du public féminin de Vincent Lindon.
Bel article, interessant. Félicitations à la journaliste.
Quel style. Percutant. J’adore.