Il y a d’abord la frustration. Une 4e place au goût d’inachevé. « J’aurais aimé être sur scène, avoir la chance de montrer ce que j’aime dans le vin et la façon dont je vois la sommellerie aujourd’hui. C’est frustrant pour moi et toute l’équipe qui m’a entourée », confie Pascaline Lepeltier de retour à New York après un marathon qui l’a emmenée jusqu’aux demi-finales du concours du meilleur sommelier du monde à Paris.
La sommelière française, installée à New York depuis 2009, et donnée favorite du concours, a trébuché juste avant la finale qui a sacré le Letton Raimonds Tomsons. Une erreur d’inattention, une incompréhension plus qu’un obstacle théorique auront suffi à mettre fin à ses espoirs. « C’est de ma faute, je n’ai pas compris une consigne, j’ai mal exécuté un atelier », explique-t-elle.
Mais l’Angevine de 42 ans n’est pas du genre à ressasser. Préférant voir le verre de vin à moitié plein, elle tempère. « Je suis très fière d’avoir représenté mon pays et heureuse d’avoir vécu cette aventure. J’ai tellement progressé, je vais continuer à cultiver cette approche plus théorique. Grâce à la participation à ce concours, j’ai atteint un niveau de connaissances et de dégustation qui vont beaucoup m’aider au restaurant ».
Depuis juin 2022, celle qui est à la tête de Chambers, un restaurant farm-to-table de TriBeCa, y distille son savoir et son expertise inspirée par les 3000 références dont elle a doté sa carte des vins. Aussi calée sur les grands crus iconiques que sur les nouveaux nectars naturels dont elle est une spécialiste, la « prophétesse du vin nature» comme l’a décrit Time Out, n’a qu’une ambition : éviter l’écueil de l’élitisme qui entoure parfois la dégustation de vin.
« Mon rôle n’est pas de donner des leçons à mes clients, mais de les initier au plaisir du palais. Depuis mon retour du concours, je réfléchis à offrir une expérience du vin encore plus sensible, quasi holistique. On n’a pas besoin d’être expert pour venir chez Chambers, ce que je veux c’est que le client découvre le plaisir sensoriel. On désacralise le geste et on ne garde que le plaisir ».
Un pari d’initiation œnologique que cette diplômée en philosophie relève aussi haut la plume dans son ouvrage paru en novembre dernier, Mille Vignes, penser le vin de demain. Déjà élevé au rang d’ouvrage de référence par des personnalités reconnues du milieu, Mille Vignes se veut une histoire du chemin qui mène de la vigne au verre. Un récit en forme de trait d’union entre le vin, la main de l’homme et la vigne, loin des encyclopédies du genre qui collectionnent les listes de crus et cépages. La vigne enfin décryptée pour comprendre l’évolution du vin et les codes pour bien le déguster.
« On écrit les livres que l’on aimerait lire. Mille Vignes est le livre que j’aurais voulu avoir entre les mains en commençant ma vie dans le vin il y a 15 ans », analyse-t-elle en préface. Et de confier : « Je voulais interroger les grands concepts du vin et donner des outils pour penser le vin. L’idée est que le lecteur, qu’il soit averti ou novice, apprenne lui-même grâce à ces outils. »
Milles Vignes donne envie de déguster du bon vin mais pas seulement. Il donne surtout à réfléchir sur notre rapport au vivant, au terroir et à ceux qui œuvrent dans l’ombre. L’alimentation et le vin comme clés d’accès à un monde meilleur. Voilà la philosophie défendue par Pascaline Lepeltier dans son ouvrage, dans son restaurant mais aussi dans tous les concours auxquels elle a participé.
Si la multi-récompensée (Master sommelier en 2014, meilleure sommelière de France en 2018, meilleure ouvrière de France en 2018) avoue avoir besoin d’une pause loin du protocole exigeant de ces compétitions, elle sait aussi qu’elles sont un medium puissant pour partager sa vision d’une nouvelle sommellerie. Qui sait, peut-être dans 4 ans, verra-t-on enfin cette ovni du vin mondialement consacrée…
Mille Vignes, penser le vin de demain, Hachette Edition, 45€, disponible à la librairie Albertine, 972 5th Ave.
Téléphone : 332-228-2238
Chambers Restaurant, 94 Chambers Street, 212-580-3572, chambers.nyc.