“Le français est-il votre langue maternelle? Êtes-vous plein(e) d’énergie et d’idées concernant l’éducation des jeunes enfants ? (age 2-5 ans)? Voulez-vous partager votre passion de la langue et culture française? Contactez-nous!” Alors que la rentrée 2016-2017 se profile, ce genre d’annonces – celle-ci provient d’une pre-school de Los Angeles – fleurit depuis un mois un peu partout aux Etats-Unis.
En mai, trois écoles de Los Angeles cherchaient des enseignants. A New York aussi, où le nombre de programmes bilingues a explosé, les besoins s’allongent. A Houston, où deux écoles proposeront des programmes de français pour la première fois à la rentrée, la chasse aux enseignants “motivés” , “exceptionnels” est lancée. “C’est le problème numéro 1 dans tous les Etats-Unis. Contrairement au privé où l’on peut attribuer des visas J-1 pour faire venir des enseignants de France, c’est un problème récurrent dans le public” , insiste Fabrice Jaumont, attaché éducation aux Services culturels de l’Ambassade de France, qui estime qu’une “douzaine” de postes sont à pourvoir rien qu’à New York.
L’enjeu est particulièrement important car dans le même temps le nombre de programmes bilingues en primaire ne cesse de croître. Le manque professeurs qualifiés pourrait freiner la tendance voire l’inverser. Chaque Etat à ses spécificités, mais tous sont concernés. A New York, un gel de visas pour les enseignants étrangers instauré en 2008 force les établissements à recruter localement. Problème pour les Français: le processus pour obtenir la certification pour enseigner dans un contexte bilingue est long et onéreux.
Dans l’Utah, où l’on recense 13 programmes bilingues français-anglais en élémentaire et 19 dans le secondaire, les seules recrues locales ne suffisent pas à remplir les postes. L’Etat a donc signé des “MoU” (Memorandum of Understanding) avec différentes académies françaises pour accueillir des enseignants détachés. Si le système suffit pour le moment, il a aussi ses limites. “On veut avoir un mélange de professeurs de français locaux et internationaux dans les écoles. Cela apporte une richesse culturelle et du dynamisme dans la salle de classe. Mais si, un jour, une académie est victime d’une pénurie de professeurs, elle peut arrêter de nous en envoyer, souligne Kaye Murdock, responsable des programmes d’immersion anglais-français pour l’Etat. Jusqu’à présent, nous avons un partenariat excellent avec les académies et l’Ambassade nous a aidés. Mais chaque année, au printemps, on ne sait jamais combien nous allons recevoir de candidatures locales ou de France. Cela suscite de l’anxiété tous les ans” .
En Louisiane, l’Etat qui, pour des raisons historiques, a le plus grand nombre de programmes d’immersion français, on a la même approche. Le CODOFIL, une agence de l’Etat fondée en 1968, fait venir tous les ans des enseignants de France, Belgique, du Canada et d’Afrique francophone. Pour les Français, les autorités s’appuient notamment sur le programme de mobilité internationale Jules Verne pour les enseignants. Deux cents candidats ont postulé l’an dernier pour l’élémentaire, seul niveau couvert par le CODOFIL. “On fait venir entre 40 et 70 enseignants par an. Cette année, on a atteint 70. C’est notre nombre le plus élevé. Tous nos besoins sont couverts, mais des lacunes existent au niveau du lycée” , indique Peggy Feehan, responsable des programmes de langue au sein de l’agence.
“Produire des enseignants en local”
Mais faire venir des enseignants étrangers induit des délais et de la paperasse, et le CODOFIL cherche aujourd’hui à renforcer son recrutement local. Il a récemment lancé un programme nommé “Escadrille Louisiane” où des enseignants louisianais sont envoyés en France pour une formation avant de retourner enseigner le français en Louisiane. “L’idée, poursuit Peggy Feehan, c’est d’avoir une force locale assez importante pour remplir les postes et privilégier les locaux. Nous aimons faire venir des enseignants de l’étranger, mais il y a des parents francophones en local qui sont artistes, coiffeurs, graphistes, médecins qui utilisent le français tous les jours. Ce sont des enseignants potentiels” .
“Produire des professeurs de français” sur place pour contourner les aléas de l’immigration, c’est aussi l’objectif de Fabrice Jaumont, de l’Ambassade de France. Depuis 2012, les Services culturels de l’Ambassade et la fondation FACE accordent des bourses de 5.000 dollars à des étudiants inscrits dans des masters d’éducation bilingue new-yorkais, comme celui de Hunter College, ou dans des programmes de certification.
Ces formations pour futurs enseignants bilingues devraient être développées sans tarder dans les Etats où les programmes d’immersion gagnent du terrain, selon Fabrice Jaumont: “La Caroline du Nord et la Georgie lancent des programmes bilingues, mais ne développent pas de mécanismes pour former des professeurs. D’ici 3-4 ans, ils auront des besoins qu’ils n’auront pas anticipés. La pénurie de professeurs est une réalité pas uniquement dans le bilinguisme mais aussi dans d’autres matières. Les métiers de l’enseignement n’attirent plus autant qu’avant.”
Le nombre de vocations est, en effet, au plus bas, éducateurs bilingues ou non. “La formation des enseignants bilingues est plus intense que pour un enseignant traditionnel. Et quand vous devenez enseignant dans une classe bilingue, vous rencontrez des défis uniques en terme d’utilisation des outils pédagogiques, de population d’élèves et de gestion des activités et des ressources. Mais la recompense que vous en tirez – l’ouverture d’esprit des enfants – compense les contraintes” , explique Brian Collins, professeur assistant d’éducation bilingue à Hunter College.
“Le problème, c’est le burn out. L’enseignement bilingue est un métier fascinant, mais après 3-4 ans, ils lâchent. Les enseignants bilingues travaillent très, très dur. Il faut travailler dans les deux langues, de longues heures. Ils se fatiguent. Je l’ai beaucoup vu chez les profs des premiers programmes” , ajoute Fabrice Jaumont. Comment convaincre un enseignant de sauter le pas ? “Il faut leur parler de l’impact qu’ils auront sur des centaines d’enfants, leur dire qu’il y a 10-15 postes à pourvoir chaque année. C’est la garantie de trouver un poste et de faire une belle carrière. Les salaires sont bons aussi.“