L’histoire est belle : alors qu’il avait emmené sur un voilier toute une équipe de jeunes gens en situation d’handicap mental, Yann Bucaille-Lanrezac, entrepreneur, est pris de court. Il ne sait pas quoi répondre à Théo, un grand jeune homme qui lui demande avec un large sourire désarmant : « Comme tu fais travailler plein de monde dans ton entreprise, fais-moi travailler, moi ! » Que lui répondre ? En France, seul 0,5% des personnes en situation de handicap mental travaillent en milieu ordinaire.
De retour sur la terre ferme, Yann Bucaille-Lanrezac forge cette certitude : l’inclusion de la fragilité passe par le travail. Les Cafés Joyeux sont nés avec, comme logo, la représentation du visage de Théo. Un premier établissement est inauguré à Rennes en 2017, puis deux à trois par an en France et en Europe. Le nouveau Café qui ouvre sur Lexington Avenue à New York en ce 21 mars, journée mondiale de la trisomie 21 est aussi le premier établissement aux États-Unis.
Pousser la porte d’un Café Joyeux, c’est d’abord pour y passer un moment… joyeux ! Du bois sur le comptoir, de la lumière qui entre par de grandes baies vitrées, murs jaunes et sols pavés et à la carte, des French croque-monsieur, des salades, quiches, soupes et des pâtisseries dont les recettes ont été élaborées par Thierry Marx, le chef trois étoiles Michelin.
Derrière le comptoir et les cuisines attenantes, autour de la dizaine de tables de la salle, les quatorze crew members s’activent pour rendre cette matinée d’inauguration exceptionnelle. On remarque Malik, toujours souriant, Nick, Troy, grandes lunettes noires et boucles de cheveux dans le cou, mais aussi Peter et Rachel avec laquelle nous échangeons. « Je suis atteinte d’autisme et j’ai postulé à un nombre impressionnant de jobs sans jamais être prise. À chaque fois c’était la même réponse : on ne prend pas de gens porteurs de handicaps. Et puis, comme j’ai des amis et de la famille en France, ils m’ont parlé du Café Joyeux, alors quand j’ai su qu’un établissement ouvrait ici, j’ai immédiatement postulé. Et j’ai été prise ! Je fais plein de choses différentes, le service, les livraisons. Je m’occupe de la caisse et puis j’écris. J’adore écrire. Je voudrais écrire un scénario ou un roman. »
Nous profitons de la prise de parole de Sylvie Giret, la toute nouvelle CEO du Café Joyeux US accompagnée de Yann Bucaille-Lanrezac pour goûter aux croissants, pains au chocolat, carot cakes et autres granolas… « Nous avons voulu que notre Café soit implanté au milieu de la finance et de l’argent, explique Yann Bucaille-Lanrezac. Un endroits où la performance et le « toujours plus » sont des moteurs. Les Cafés Joyeux sont là pour montrer que la fragilité a sa place dans l’économie ». Aux États-Unis, 90% des 7 millions de personnes en situation de handicap mental n’ont pas d’activité. « C’est notre mission et la raison pour laquelle les Américains sont venus nous chercher. Nous avons beaucoup à apprendre d’eux, de leur générosité, de la philanthropie et nous, nous essayons de leur apporter notre expérience et notre talent pour les détails. »
À une table, une journaliste américaine s’inquiète : « Mais comment être sûre que je prononce bien ‘Joyeux’ ». « Aucun problème ! , répond Yann Bucaille-Lanrezac, vous pouvez dire ‘Café jo-you’. On ne se formalisera pas… »
Café Joyeux, 599 Lexington Avenue (sur la E 52nd St. entre Lexington et la 3rd Avenue). Ouvert du lundi au vendredi de 7:30am à 5pm, le samedi de 8am à 4pm. fermé le dimanche. Site