Quand on arrive devant Le Fournil, on est un peu perdu: les noms “Moishe’s Bake Shop” et “Le Fournil” s’affichent tous les deux en devanture. Cela n’est pas une erreur: après plus de quarante ans dans ce local centenaire, “Moishe’s” a cédé sa place à la boulangerie française lancée en novembre par Jean-François Hebert. Et ce dernier n’a pas retiré le nom de son illustre prédécesseur. Une manière de respecter l’esprit de préservation du quartier, East Village.
En ouvrant Le Fournil, le Normand réalise son rêve. Petit-fils et fils de boulangers qui avaient leur propre établissement à La Haye-du-Puits (Manche), Jean-François Hebert nourrissait le projet de lancer son business à New York depuis des années. Mais il n’a pas toujours été sur les bons rails. “Je travaillais dans la boulangerie familiale depuis l’âge de 11 ans. Mais mon frère et moi ne voulions pas reprendre le flambeau. Nous étions jeunes et voyions notre famille travailler comme des chiens“. Il choisit l’immobilier, mais l’amour du pain finit par le rattraper. “Je suis venu à New York en tant que touriste et je me suis dit que c’est ici que je devais ouvrir ma boulangerie“, explique-t-il, tout en travaillant la pâte de ses futurs pains dans la cuisine au fond du local.
Il pose ses valises dans la Grosse Pomme en novembre 2011. “Il pleuvait, j’avais cinq bagages. Je ne savais pas où j’étais…“. La “petite dame de 70 ans” qui le loge lui imprime la liste des restaurants français de la ville, autour “d’une bière et d’une cigarette“, pour l’aider à trouver un job. Le premier est au légendaire restaurant breton de Midtown, Le Tout Va Bien, où il reste un an avant de partir pour plusieurs adresses françaises (Le Cercle Rouge, Café du Soleil…). Il devient manager du bar chez Félix, la table de TriBeCa, où il passe six ans.
Aujourd’hui, il a 34 ans. “C’était le moment où jamais de se lancer“, raconte-t-il. Avec Le Fournil, le Français n’a pas souhaité faire table rase du passé. Bien au contraire. Les travaux de rénovation ont permis de révéler de superbes carrelages colorés derrière les faux-murs que l’ancien propriétaire – le boulanger Moishe Perl, parti à la retraite – avait installés. De la feuille d’or est même incrustée dans certains motifs. Un petit bijou. Certaines tuiles proviendraient du métro new-yorkais. Au fond de la salle, une vieille machine qui servait à faire des bagels attire le regard.
En plus de son propre pain (baguettes, ficelles…) et viennoiseries (croissants, pains au raisin, pains au chocolat, chouquettes…), Jean-François Hebert continue de vendre certaines pâtisseries de “Moishe’s”, qui fut l’une des dernières boulangeries cacher de Manhattan. Maintenant qu’il a réalisé son rêve, le père de deux enfants veut installer son nouveau business. “C’est très gratifiant. Il y a des clients qui me font des hugs pour me remercier, raconte-t-il. Je n’ai pas étudié la boulangerie dans une école, mais je l’ai dans le sang. J’ai de bonnes recettes de famille. Mon père m’aide aussi à distance. Je retrouve la passion, le plaisir de toucher la pâte“.